L’INTERVIEW DU FORUM CHANGER D’ÈRE : MARIE-DURAND YAMAMOTO
Marie-Durand Yamamoto est la fondatrice de mono hito koto, un bureau de conception d’environnements narratifs. Un écosystème qui rassemble des talents complémentaires (architectes, designers, facilitateurs, consultants…) afin de concevoir des lieux porteurs de sens et de valeur pour les hommes et les femmes qui vont y vivre et travailler.
Véronique Anger-de Friberg : Que signifie le nom « mono hito koto » ? Quels sont le concept et les objectifs de votre projet et quelles sont vos motivations ?
Marie-Durand Yamamoto : Mono hito et koto sont trois mots japonais. Mono est l’objet tangible, ce que l’on peut toucher et voir ; hito désigne l’homme, l’humain ; enfin, koto est l’objet conceptuel, la valeur immatérielle. J’ai choisi ces trois mots qui représentent pour moi les trois piliers fondamentaux dans la conception d’espaces : la qualité des aménagements, des objets et des matériaux ; une bonne compréhension des besoins et des usages ; la recherche de sens et d’impact.
Notre écosystème rassemble des talents complémentaires (architectes, designers, facilitateurs, consultants…) afin de concevoir des lieux porteurs de sens et de valeur pour les hommes et les femmes qui vont y vivre et travailler. Nous faisons partie des métiers de l’assistance à maîtrise d’ouvrage puisque nous accompagnons les organisations dans la définition, l’optimisation et la valorisation de leur projet immobilier.
L’architecture a toujours été utilisée comme un langage pour les différentes civilisations. A travers les constructions, et les objets dont nous avons hérités, nous avons appris l’Histoire, les usages et occupations, mais aussi les croyances des hommes et des femmes qui occupaient ces lieux. L’objectif premier de notre activité est de refaire de l’architecture et des aménagements, un langage, qui raconte la vision de l’entreprise, sa mission, ses rites et ses rituels ; que chaque visiteur et collaborateur puisse vivre l’entreprise comme une expérience complète à la fois intellectuelle mais aussi émotionnelle et sensorielle. En d'autres termes, notre mission est d’amener l'entreprise à réfléchir ses lieux, non seulement comme un outil fonctionnel, mais également en tant qu'incarnation d'une culture ou d'un récit d'entreprise.
Véronique Anger-de Friberg : On rejoint là l’idée d’entreprises à mission, tout au moins l’idée que l’entreprise joue un véritable rôle sociétal ?
Marie-Durand Yamamoto : En effet, nous sommes convaincus que demain, au-delà de leur raison d’être, les entreprises et les organisations devront rayonner et contribuer au bien commun autant au niveau global que localement, en partenariat avec les villes et les territoires sur lesquels elles seront implantées. C’est le deuxième volet de notre activité (que nous sommes en train de développer) : aller plus loin dans le récit d’entreprise en faisant de l’immobilier un levier d’impact social et sociétal pour les entreprises afin qu’elles puissent, à travers leur patrimoine immobilier, affirmer leur rôle dans la cité – un rôle urbain et social –. Cela est d’autant plus évident que le sujet des espaces de travail occupe de plus en plus de place dans le débat sur le bien-être et l’engagement des collaborateurs. De nouveaux concepts de confort « comme à la maison » et de flexibilité avec du « desk sharing » ou de plaisir et d’événementialisation, ont fait leur entrée dans les paramètres de conception.
Les sièges sociaux ne sont plus seulement des fournitures nécessaires à l’entreprise sont devenus des leviers d’attractivité et d’engagement, des outils de communication et de transformation, notamment avec la généralisation du télétravail. Le bureau est multiple, partout - à la maison, au coworking, à l’hôtel, dans le train… : il nous suit où nous allons. Se pose alors la question de la raison d’être des sièges sociaux et de la pertinence de tous ces rôles que nous lui avons attribués. A-t-on encore besoin de sièges sociaux (et sites) et qu’attendons-nous d’eux ? Quel nouveau rôle doivent-ils jouer demain pour l’entreprise et ses collaborateurs ?
J’aime cette idée de retour à la définition du « siège social » : penser le siège (et les sites associés) comme lieu identitaire de l’entreprise matérialisant sa vision et son projet. Un lieu social -comme son nom l’indique- où se vit et se construit la culture de l’entreprise dans un environnement sain, pensé pour le bien-être des hommes et des femmes qui constituent son corps social. C’est ce qui a nourri notre désir d’accompagner les décideurs dans leurs projets immobiliers. Notre ambition est de concevoir des lieux sociaux qui portent et font rayonner le récit de l’entreprise (vision stratégique et social) et sa culture (valeurs et modes de travail). Nous percevons le siège social comme un écrin du récit d’entreprise.
Véronique Anger-de Friberg : Au-delà de la responsabilité sociétale des entreprises et de l’émergence de nouveaux modèles d’entreprises à mission, je comprends que pour vous le siège social ne se limite pas seulement à des bâtiments, c’est tout un écosystème ?
Marie-Durand Yamamoto : C’est bien cela. Nous pensons le patrimoine immobilier en tant que levier d’impact. Le quartier et, plus largement, le territoire se retrouvent obligatoirement impactés par l’implantation d’une entreprise. C’est pourquoi nous devons considérer le siège social non plus comme un périmètre fermé sur lui-même mais comme un écosystème dynamique ouvert sur les acteurs politiques, économiques, et bien entendu les citoyens. Le siège social va jouer un rôle majeur dans la dynamique locale, territoriale des entreprises. Le gouvernement étant très favorable aux tiers-lieux, je pense que les entreprises ont une belle opportunité de jouer un rôle urbain et d’avoir un impact dans la cité. C’est notre envie de donner encore plus de sens aux projets immobiliers des entreprises que nous avons développé notre deuxième volet d’activité ; proposer une optimisation du patrimoine immobilier des entreprises et développer des initiatives à impact positif sur les surfaces disponibles à destination des territoires d’implantation.
Nous vivons dans un monde complexe, j’en suis consciente. La moindre initiative visant à avoir une portée sociétale implique un système complexe de paramètres et d’acteurs qui peuvent mettre à mal les équilibres (ambitions !) économiques, ce qui rend difficile la pérennisation des projets de grande échelle. Nous l’avons tristement observé chez Danone par exemple ; c’est pourquoi nous sommes attachés à imaginer des opportunités en partenariat avec les acteurs politiques et économiques locaux et à atteindre une relation win/win durable pour l’entreprise et les citoyens.
Véronique Anger-de Friberg : Avez-vous un projet en cours, avec quels talents/profils humains pour y contribuer avec vous ? Comment voyez-vous le développement de votre écosystème ?
Marie-Durand Yamamoto : Je travaille beaucoup avec Harmonie Mutuelle qui m’offre des opportunités de développer et d’affiner notre méthodologie sur les différents volets de notre activité. C’est une entreprise qui mène une profonde réflexion sur sa stratégie immobilière pour l’aligner avec sa raison d’être - récemment formalisée - et ses valeurs mutualistes. Je suis très admirative de la manière dont ils cherchent toujours à aller plus loin dans leur engagement pour faire émerger des initiatives solidaires sur tous les territoires où ils sont implantés.
Aujourd’hui, je constitue mes équipes suivant les sujets, suivant les populations à qui s’adressent les projets, suivant leur intérêt. Je travaille en partenariat avec des architectes et des consultants en sciences humaines sur plusieurs projets d’accompagnement d’entreprises dans la transformation de leur environnement de travail. J’échange en permanence avec des experts et des entrepreneurs qui m’inspirent et me conseillent sur différents sujets. Et j’ai le privilège d’être soutenue par des personnalités inspirantes et enrichissantes qui m’apportent leur éclairage précieux. Je crois beaucoup à l’engagement par affinités et, tout naturellement, la diversité de profils et de compétences pousse notre projet à se développer comme un véritable écosystème, avec un vivier de talents qui partagent certaines convictions et sensibilités.
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