Soutenir les collectivités qui investissent dans le foncier industriel
- Brice Soccol
- il y a 12 minutes
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Entretien avec Martine Berthet, Sénatrice de la Savoie, auteur du rapport d’information relatif au Programme Territoires d’industrie

Vous avez remis au Sénat, aux côtés de Rémi Cardon et Anne-Catherine Loisier, un rapport d'information sur le programme Territoires d’industrie, adopté en Commission des affaires économiques le 18 décembre dernier. Quel est le bilan des effets du programme Territoires d'industrie depuis son lancement en 2018 ?
Le programme Territoires d’industrie a été lancé afin de placer la notion du territoire au cœur de la stratégie nationale de réindustrialisation et de mettre en place un « cadre coopératif de soutien à l’industrie » autour des zones rurales, qui s’inscrit ainsi dans les objectifs du projet France 2030. Il a permis de faire travailler tout le monde ensemble sur les sujets associés à la réindustrialisation, dont notamment la formation, le logement et la mobilité. Au-delà de la notion même de territoire, ce programme repose sur un « effet ascendant » permettant aux nombreux acteurs locaux de définir eux-mêmes leurs projets et priorités. Lors de la reconduction du programme en vue de la période 2023-2027, 183 Territoires d’industrie ont été labellisés, rassemblant la moitié des EPCI de France (630). Ce programme a eu des effets très positifs malgré des résultats qui restent hétérogènes et variables selon la volonté des territoires.
Pouvez-vous nous parler de vos principales recommandations, dont notamment celle visant à rendre "le programme plus opérationnel en améliorant la mobilisation des acteurs et en ciblant le financement" (axe 2) ?
Nous recommandons d’associer à ce dispositif les Chambres de Commerce et d’Industrie (CCI) ainsi que les régions qui n’ont pas été suffisamment mobilisées, aux côtés de nombreux partenaires déjà présents autour du binôme industriel-élu local. Dans certains territoires, cette coopération de tous les acteurs concernés s’est faite spontanément, notamment grâce aux agences économiques. Par exemple, en Savoie, nous avons une agence co-pilotée par la région et le département, qui est devenue la cheville ouvrière de ce Territoire d’industrie. Rendre le programme Territoires d’industrie plus opérationnel implique aussi de conserver une approche ascendante et de donner la priorité à des territoires porteurs de véritables projets industriels, comme nous l’avons vu au début de la Phase II (2023-2027) du programme.
Dans un second temps, nous recommandons d’inscrire ce programme dans la durée en le dotant d’une ligne de financement même modeste mais pluriannuelle. Cela permettra de pérenniser le cofinancement des chefs de projets qui vont pouvoir articuler les opérations prévues. Dresser des bilans à l’aide d’évaluation régulières est aussi une recommandation que nous formulons.
Enfin, nous recommandons également de donner la priorité aux Territoires d’industrie dans l’accès aux dispositifs de droit commun, en établissant « un panier de services adaptés » destiné à les accompagner dans de nombreux domaines (logement, transport, formation, etc.).
Quels autres leviers de politiques publiques pourraient permettre de créer une synergie entre les acteurs locaux et nationaux destinée à soutenir la réindustrialisation française ?
Afin de soutenir la réindustrialisation, il est important de continuer à mieux faire connaître les métiers de l’industrie aux élèves, comme cela a été fait par France Industrie avec des communications et une campagne nationale. De plus, nous souhaiterions associer le dispositif Territoires d’industrie aux ministères en charge de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de l’emploi, afin de faciliter la mise en place de formations nécessaires pour les entreprises de chaque Territoires d’industries. Pour ce faire, nous recommandons la nomination d’un délégué interministériel à la réindustrialisation, chargé de la mise en œuvre d’un pilotage transversal permettant d’activer tous les ministères concernés. Ce délégué interministériel assurerait une coordination plus efficace des enjeux liés à la formation, ainsi qu’à ceux du logement et de la mobilité.
Il est aussi aujourd’hui impératif de soutenir les collectivités territoriales qui investissent dans le foncier industriel. Il est vrai que dans certains territoires le foncier économique est déjà très rare et qu’il y a des friches industrielles que nous pouvons mobiliser. Or, cela n’est pas toujours facile, car ce sont des portages qui s’inscrivent dans le temps long (durée supérieure à 6 ans). C’est pourquoi, le soutien aux collectivités territoriales est primordial pour le dispositif Territoires d’industrie. Par exemple, sur le territoire du Grand-Chalon en Saône-et-Loire, il a fallu réhabiliter l’ancienne friche Kodak pour pouvoir aller de l’avant.
De plus, il est important d’activer les facultés de dérogation des préfets, afin de nous inscrire dans une logique de simplification, facilitée par des consignes données par les ministères. C’est ce que l’on a vu ces derniers mois avec la loi olympique pour les J.O de Paris 2024 et la loi pour la reconstruction de Notre-Dame : la logique d’exception implique une simplification qui permet d’avancer plus vite dans les démarches.
Enfin, nous pourrons également activer davantage de partenariats avec d’autres territoires industriels européens, dans une logique de filière, afin de mobiliser des crédits européens.
Comment le programme Territoires d'industrie pourrait-il être mieux employé pour répondre aux problématiques spécifiques des zones rurales ?
En zone rurale, le développement de solutions de mobilité et l’augmentation de l’offre de logements abordables sont deux enjeux primordiaux. Dans mon département, au sein du Territoires d’industrie de la vallée de la Maurienne, il y a beaucoup de logements qui ont été délaissés par les bailleurs sociaux. Un accompagnement a été mis en place pour réhabiliter ces logements, ainsi que les logements privés, afin de permettre aux propriétaires de mobiliser leurs biens inoccupés, notamment grâce à des travaux de rénovation thermique. Ces initiatives spécifiques aux territoires pourront être davantage développées afin de mieux s’adapter à leurs besoins.
Il est aussi important de mettre en place, dans les zones rurales, des écoles de production réparties au sein des Territoires d’industrie. Ces dernières forment des jeunes qui se sont éloignés du milieu scolaire ou de l’emploi et facilitent la production de pièces nécessaires aux activités des entreprises locales. Elles répondent ainsi à un double objectif de formation et de production que nous devons valoriser au sein du programme.
Enfin, je souhaite insister sur la nécessité de continuer de concevoir le dispositif Territoires d’industrie de manière ascendante car la volonté de mise en œuvre du programme doit venir du territoire. Nous devons veiller à accompagner, et non à imposer.
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