Hugo Mercier, docteur en sciences-cognitives et chercheur à l’Institut Jean Nicod, auteur de « Pas né de la dernière pluie », Humensciences
Entretien réalisée par Gabrielle Halpern
Votre passionnant ouvrage « Pas né de la dernière pluie » explique que les êtres humains ne sont pas aussi crédules que nous le pensons. Avant d’aborder le fond du sujet, pourriez-vous d’abord nous expliquer comment vous en êtes venu à creuser cette question dans vos travaux de recherche ?
Mon travail est ancré dans une perspective évolutionniste. Dans ce domaine, la théorie de l’évolution de la communication, qui est bien établie et a permis d’éclairer de nombreux comportements animaux, dicte que les individus ne peuvent pas être roulés trop souvent par la communication. Si c’était le cas, ils arrêteraient simplement de prêter attention aux signaux envoyés par les autres – ainsi que nous le faisons par exemple quand nous jouons au poker. Même s’il est bien sûr possible que les gens fassent des erreurs, et acceptent parfois des informations fausses, ou même coûteuses, il faut qu’ils bénéficient, en moyenne, de la communication. Pour cela, ils doivent posséder des mécanismes cognitifs qui leur permettent de savoir à qui ils peuvent se fier, et quelles informations ils peuvent accepter.
Dans votre livre, vous expliquez que nous savons filtrer les informations qui nous parviennent et que nous décidons à bon escient qui croire et à qui faire confiance. A bon escient… et en toute connaissance de cause, donc ?
En effet, plus nous avons d’informations sur les personnes qui nous parlent, plus nous avons de connaissances sur le domaine en question, plus nous avons le temps d’échanger des arguments, plus nous sommes à même de rejeter les informations fausses, et d’accepter les informations vraies, même si elles allaient à l’encontre de notre avis préalable. Cependant, en l’absence de telles informations — lorsque nous en savons peu sur qui nous parle, ce qui est typiquement le cas pour la communication de masse — nous devenons des « sceptiques rationnels » qui tendent à rejeter toutes les informations qui ne collent pas avec ce que nous croyons déjà.
L’Histoire regorge d’exemples témoignant de ce que l’être humain est prêt à tout croire, même le plus invraisemblable, même le pire. Pourrait-on dire qu’il existe une « crédulité utile » ?
En effet, les humains ont accepté, à travers l’histoire, des croyances qui étaient fausses, y compris certaines qui nous paraissent maintenant absurdes. Cependant, il est douteux que ces croyances largement partagées aient eu des effets néfastes directs. Souvent, ces croyances fausses sont utilisées pour justifier des actions que les gens voulaient effectuer de toute façon. Par exemple, les accusations absurdes de meurtres rituels de la part de populations juives permettaient aux gens de justifier des exactions contre ces populations, mais elles ne causaient pas directement ces exactions.
Les émetteurs de fake news ou de propagande savent-ils que leurs victimes les croient, non pas parce qu’ils sont particulièrement forts dans l’art de raconter des mensonges, mais tout simplement parce que leurs victimes ont décidé de les croire ? Qu’est-ce qui pourrait remettre en question cette décision ?
C’est une bonne question, mais nous n’avons, je pense, que peu d’informations sur les croyances de ces diffuseurs de fake news. En effet, ils n’ont typiquement que peu d’effets réels, car ils ne font que dire aux gens ce qu’ils ont envie d’entendre, et n’affectent que rarement des personnes qui ne seraient pas déjà d’accord. Cependant, le succès populaire que certains (rares) fournisseurs de fake news rencontrent les conduit peut-être à penser qu’ils exercent une influence importante sur un segment de la population, alors qu’en fait, c’est la population qui les influence, en réagissant de façon plus ou moins positives à leurs messages.
Pensez-vous que tant qu’il y aura des êtres humains, il y aura des fake news ? Sinon, comment lutter contre elles ?
Oui, probablement, car pour bon nombre d’informations—à propos de menaces, de complots, etc.—il vaut mieux accepter un peu trop d’informations, même si certaines sont fausses, que rejeter trop d’informations, au risque que certaines soient vraies. On s’attend donc à ce qu’il persiste toujours un peu d’informations fausses, en particulier dans les domaines pour lesquels ignorer une information vraie peut s’avérer particulièrement coûteux.
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