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Pourquoi il faut fermer les Ehpad

Jean Dumonteil




Les récentes assises des Ehpad (Établissements d’hébergement des personnes âgées dépendantes) ont révélé un secteur en crise : crise financière, crise sociale par manque de personnel qui entraîne souvent la maltraitance institutionnelle et crise de confiance des familles. Le modèle est usé et de plus en plus inadapté. Il est temps de fermer les Ehpad.


En proposant la suppression des Ehpad, on ne fait pas œuvre d’éradicateur et de polémiste, on constate simplement que des pays se sont engagés dans cette voie pour mettre en œuvre d’autres formules d’accompagnement de nos aînés et que ça marche mieux. 


Il faut agir rapidement car les “boomers“ vieillissent et leur nombre explose. Pour la décennie 2020-2030, le nombre de personnes de 75 à 85 ans va augmenter de près de 50 %, soit une augmentation de deux millions de Français. Aujourd’hui, environ 7 500 Ehpad accueillent plus de 650 000 personnes âgées. Parallèlement, près de 800 000 personnes âgées en perte d’autonomie bénéficient des prestations d’un service d’aide et d’accompagnement à domicile. 


Il ne faut pas confondre les Ehpad avec les autres formes de ce qu’on appelait les maisons de retraite et résidences autonomie ou foyers-logements. Le développement de ces structures d’hébergement collectif non médicalisé, à partir des années 1960 pour remplacer les “asiles de vieux“, a constitué un progrès apportant confort et modernité aux personnes âgés. Aujourd’hui, l’équation est totalement différente. Les vieux veulent rester chez eux le plus longtemps possible. Pour les résidents des Ehpad, l’arrivée de plus en plus tardive en établissement est la dernière étape, souvent vécue comme un renoncement. Dès lors, le niveau de dépendance des personnes âgées s’accroît, tout comme leurs besoins médicaux. Le problème majeur est qu’on confond de plus en plus le H d’Ehpad qui veut dire hébergement avec le H d’hôpital.


Dans un rapport sénatorial, Bernard Bonne et Michelle Meunier ont montré qu’« avec 21 % des personnes de plus de 85 ans en Ehpad, la France est l’un des pays d’Europe qui affiche l’un des plus forts taux d’institutionnalisation. Celui-ci est sensiblement plus faible dans les pays du nord de l’Europe comme la Suède, le Danemark, la Finlande ou le Royaume-Uni, où il atteint respectivement 14 %, 11 %, 8 % et 16 %, mais aussi dans certains pays du Sud puisqu’il atteint 5 % en Italie et 8 % en Espagne, ou même dans certains pays de l’Est : il n’est que de 11 % en Hongrie, 12 % en République tchèque, et 3 % en Pologne. »


Les deux sénateurs en ont tiré la conclusion drastique qu’« un objectif d’arrêt de construction de places en Ehpad dans les prochaines années est parfaitement réaliste, à condition de développer les autres formes de domicile et d’encourager l’évolution positive de l’espérance de vie en bonne santé en se dotant d’une véritable politique de prévention. » Bernard Bonne précise que « les Danois ont pris une telle décision… en 1987 ! » De sorte que la politique publique de l’autonomie se concentre sur le développement des services à domicile, avec un accent sur l’attractivité des métiers et les innovations managériales.


D’autres responsables politiques préconisent le développement d’« Ehpad plateformes », « Ehpad hors les murs » ou de « centres de ressources ». En 2018, les députées Monique Iborra et Caroline Fiat concluaient dans un rapport que « les Ehpad ne doivent plus être uniquement des établissements d’hébergement permanent et définitif, mais devenir des plateformes qui accompagnent les personnes âgées à chaque étape de leur perte d’autonomie, en fonction de leurs besoins et de ceux de leurs aidants ». 


Le service public local devrait être assurément au cœur de l’évolution à venir. En Europe du Nord, ce sont, la plupart du temps, les mêmes structures locales qui gèrent l’ensemble des services au grand âge, à domicile et en établissement, facilitant la fluidité selon les besoins des aînés et des familles. Les réseaux de solidarité sont aussi plus actifs et prennent en compte l’ensemble des conditions de vie des aînés (lien social, culture, mobilité). 


Dans les pays de l’Europe scandinave, si les orientations budgétaires et réglementaires sont décidées au plan national ou régional, les municipalités sont pleinement responsables de l’organisation et de la fourniture des soins. En Suède, les communes sont seules responsables de l’évaluation du besoin de la personne, du service des prestations, du pilotage de l’ensemble de l’offre médico-sociale. La majorité des services et établissements pour personnes âgées en perte d’autonomie est constituée des services communaux, financés par l’impôt municipal.


La nouvelle approche des Pays-Bas est très instructive. Le pays a fait sa révolution des maisons de retraite en 2013 en décidant de mettre fin à cette forme d’hébergement au profit du maintien à domicile et de petites structures collectives sous la forme du béguinage, reprenant ainsi l’appellation d’un mode de vie communautaire autrefois répandue en Flandres et dans les Provinces-Unies.


En ce qui concerne le maintien à domicile, ce pays a été très innovant en développant le modèle Buurtzorg (soins de quartier), inventé en 2007 par Jos de Blok avec une équipe de quatre infirmières et un ami informaticien. Le dispositif repose sur des équipes de six à douze infirmiers, sans responsable, prenant en charge jusqu’à 60 patients. Ce modèle de management induit des décisions collégiales et la gestion par l’équipe de l’emploi du temps et des recrutements. Selon une étude de Ernst and Young de 2009, relayée dans un rapport de la Cour des comptes, ce modèle, performant économiquement, renforce la satisfaction des professionnels et réduit les problèmes d’absentéisme et de turn-over. « Deux conditions semblent déterminantes pour son bon fonctionnement, l’optimisation des temps de déplacement par la délimitation de la zone géographique d’intervention et l’organisation des différents temps d’accompagnement avec la fixation d’un objectif de productivité tel que 60 % du temps de travail infirmier passés auprès des patients (a contrario, les infirmiers accordent 40 % de leur temps à des tâches de gestion et de coordination) ». Les équipes sont autonomes pour gèrer les plannings et les remplacements de manière concertée et indépendante. Chaque membre est référent de plusieurs bénéficiaires. De plus, en cas d’absence d’un intervenant, son remplaçant est forcément un membre de l’équipe, déjà connu de la personne accompagnée. En France, quelques collectivités expérimentent ce dispositif mais on reste très en retard.  


L’impensé des maladies neurodégénératives


L’autre grand problème des Ehpad, c’est l’accompagnement des malades d’Alzheimer pour lequel ils sont mal adaptés. Selon France Alzheimer, 70 % à 80 % des résidents en Ehpad seraient atteints de troubles cognitifs. 42 % des personnes âgées en Ehpad étaient atteintes de la maladie d’Alzheimer en 2015 ; elles sont plus de 57 % à souffrir d’une maladie neurodégénérative, comme l’indiquent dans un rapport de mission datant de 2021 les professeurs Jeandel et Guérin. 


Là encore, regardons comme l’Europe du Nord fait face à ce défi. Les Pays-Bas sont à l’origine du concept Hogeweyk, traduit en français par l’appellation village Alzheimer. Créé à Weesp, une commune de la banlieue d’Amsterdam, ce village est une extension du centre de soins Hogewey, d’où le jeu de mots, weyk ou wijk désignant un village ou un hameau en néerlandais. La structure accueille 150 personnes réparties dans 23 maisons de six ou sept résidents regroupés par affinité de mode de vie et de goût. La structure offre la sécurité et une grande autonomie aux patients atteints de démence. Le personnel de Hogeweyk est formé pour mettre l’accent sur les capacités cognitives des résidents. 


Le modèle Hogeweyk a inspiré la création du Village landais Alzheimer dans l’agglomération de Dax, par le conseil départemental des Landes, avec le soutien de la Caisse des dépôts et des partenaires mutualistes et associatifs. Cent vingt personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et apparentées y sont accueillies à différents stades d’évolution de leur maladie. L’encadrement se compose d’un personnel pluridisciplinaire et polyvalent (médecins, infirmiers, assistants en soins gérontologiques, psychologue, ergothérapeute, psychomotricienne, animateurs, etc.), d’un personnel administratif et de services généraux (restauration, entretien). Ce village Alzheimer français est hélas une exception alors qu’il faudrait essaimer ce type de structure sur l’ensemble du territoire. 


Le constat est terrible : la politique du grand âge reste l’angle mort des politiques publiques françaises. Nos concitoyens manifestent et s’affrontent sur l’âge de départ en retraite en oubliant, en niant la grande vieillesse, sauf à parler de la fin de vie et du droit d’en finir. Il importe pourtant de vivre dans la dignité à tous les âges, même et surtout au grand âge.


 Laurence Denès et Jean Dumonteil, Les métiers territoriaux du grand âge, des professionnels du lien en attente de stabilité, Cahiers de l’Observatoire MNT n° 28, septembre 2022.
Bernard Bonne et Michelle Meunier, La prise en charge médicale des personnes en Ehpad : un nouveau modèle à construire, rapport au nom de la commission des affaires sociales, février 2022.

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