Entretien avec Charles Rodwell, député des Yvelines (Renaissance)
Vous avez remis, le 11 décembre dernier, un rapport "Pour une politique d'attractivité d'attaque au service de l'indépendance et de la sécurité économique de la France" à la Première ministre Élisabeth Borne. Pourquoi consacrer une mission à la politique d’attractivité économique de la France vous apparaissait-il nécessaire ?
Le gouvernement et moi-même sommes partis du constat que, bien que la France soit de nouveau le pays le plus attractif en Europe pour les investissements étrangers grâce aux réformes menées depuis 2017, l’effondrement de l’appareil productif et la désindustrialisation du pays ont nui à l’indépendance et à la sécurité économique de la Nation.
L’économie française n’est pas la seule parmi les économies occidentales à avoir connu le drame de la désindustrialisation. En revanche, elle l’a subie dans des proportions exceptionnelles : la part de l’industrie dans son PIB s’y est réduit de moitié, passant de 20 à 10%, entre 1980 et 2017. C’est le fruit de décisions politiques de tous bords et de choix industriels malheureux.
Dès lors, la mission qui m’a été confiée s’inscrit dans le cadre de la réindustrialisation voulue par le président de la République. Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée, un mouvement de fond a été impulsé en faveur d’un renouveau industriel. La majorité présidentielle a massivement baissé les impôts, à hauteur de 26 milliards d’euros aussi bien pour les ménages que pour les entreprises ; réformé le marché du travail ou encore simplifié la vie des entreprises à l’image de la loi PACTE. Surtout, le gouvernement a fait le choix de mener une politique de l’offre plutôt que de la demande, c’est-à-dire de soutenir d’abord l’industrie et la R&D avant de subventionner la consommation. L’économie commence à en retirer les bénéfices avec l’installation de 300 nouvelles usines au cours des trois dernières années (solde net) et la création de 3 millions d’emplois faisant de la France le pays européen le plus attractif pour les investissements étrangers.
Il faut saluer les résultats positifs de ce qui a été d’ores et déjà entrepris. Néanmoins, il est également nécessaire de prendre acte de la situation du monde actuel, qui n’est autre que celle d’une guerre économique, et d’y adapter notre politique d’attractivité. C’est le sens de la mission que j’ai portée. Lorsque la Chine déclare sans ambages que son économie passe d’une économie de paix à une économie de guerre, lorsque les États-Unis adoptent l’Inflation Reduction Act qui frappe de plein fouet l’économie européenne, lorsque les conflits militaires se multiplient et que tous les pays se réarment économiquement et militairement, ma conviction profonde est qu’il est d’une impérieuse nécessité d’assurer l’indépendance et la sécurité économique de la France - celles-ci exigeant, entre autres, une politique d’attractivité d’attaque.
Qu’est-ce qu’une politique d’attractivité d’attaque ? En quoi cette dernière servirait-elle l’indépendance et la sécurité économique de la Nation ?
Une politique d’attractivité d’attaque, c’est choisir des entreprises qu’on va ensuite aller délibérément chercher pour qu’elles s’implantent en France. Comment fait-on ces choix ? Le plan France 2030 et d’autres identifient des filières industrielles dont nous souhaitons relancer la production en France pour diverses raisons (souveraineté, compétitivité, sécurité, etc.). Nous nous efforçons alors de sélectionner des acteurs de ces industries et de les attirer sur le territoire national.
Du reste, c’est ce que nous avons fait pour la production de voitures électriques. Nous nous sommes employés à faire revenir l’assemblage des batteries en France. Ensuite, nous avons installé des usines pour les composants électroniques nécessaires aux batteries. Puis nous continuons désormais nos efforts pour reconstituer toute la chaine de valeur de cette industrie cible et garantir l’indépendance de notre production. Cependant, cela demande aussi de disposer de fournisseurs adéquats - soit en créant un ou plusieurs producteurs français voire européens, soit en attirant les acteurs les plus pertinents ici. Si nous sommes contraints de recourir à la seconde option, c’est à ce moment-là que nous identifions les entreprises que nous voulons voir s’implanter sur notre territoire et que nous les attirons. Afin de les attirer véritablement, je propose de généraliser le contrat d’implantation qui offre à l’entreprise en question la sécurité juridique de ses contrats, un bouclier réglementaire durant 5 ans et un co-financement de son site de production.
La généralisation du contrat d’implantation, est-ce suffisant pour combler le déficit d’attractivité de la France en comparaison avec les économies les plus attractives ?
Le contrat d’implantation n’est qu’un des outils proposés pour faire sauter un certain nombre de verrous qui nuisent à l’attractivité économique de la France.
J’ai eu la chance de réaliser un tour de France, dans 41 départements de nos 13 régions métropolitaines, pour aller rencontrer ceux qui sont les fers de lance de la réindustrialisation du pays, à savoir les élus et entrepreneurs locaux. On a pu identifier un certain nombre de bonnes pratiques existantes allant de la baisse des impôts locaux à une véritable politique d’accueil des familles qui arrivent sur le territoire en même temps qu’un nouveau site de production. Cependant, vous avez raison, il était aussi nécessaire d’étudier ce qui se fait à l’étranger afin de s’inspirer des bonnes pratiques. En matière d’attractivité économique, les États-Unis sont de loin les meilleurs joueurs. Nous parlions plus haut de l’Inflation Reduction Act. Il constitue un exemple de plan d’attractivité d’attaque.
Premièrement, il se caractérise par une concentration des moyens, 350 milliards de dollars en l’occurrence, sur une seule priorité qu’est l’industrie décarbonée. Cette concentration des moyens est au cœur du succès de l’Inflation Reduction Act car elle maximise l’effet de levier sur l’investissement si bien que les retombées économiques sont évaluées à 1.800 milliards de dollars alors même que le soutien public initial est de 350 milliards.
Deuxièmement, l’Inflation Reduction Act, c’est aussi une simplicité d’exécution sans commune mesure. Les règles sont simples et stables. J’ai eu l’occasion de rencontrer une entreprise de logistique de produits frais qui disposent d’entrepôts sur des ports majeurs en France et au New Jersey. Cette dernière a investi à peu près 100 millions d’euros de chaque côté de l’Atlantique. Pour les 100 millions d’euros investis en France, l’entreprise a dû composer un dossier de 450 pages pour une promesse de 800.000 euros de subventions et 500.000 euros de subventions effectives. De l’autre côté, pour les 100 millions d’euros investis aux États-Unis, l’entreprise a rempli un dossier d’une dizaine de pages pour un crédit d’impôt de 40 millions d’euros sur sept ans, dont elle a effectivement bénéficié. C’est ce retard que nous devons combler avec les outils suivants : concentration des moyens, simplification normative et sécurisation juridique.
En sus des obstacles susmentionnés à l’attractivité de la France, d’aucuns mettent en avant le zéro artificialisation nette (ZAN) comme un frein à la réindustrialisation du pays…
Pour moi, le ZAN, c'est l'archétype même d’une loi nécessaire mais qu’il est absurde de vouloir appliquer de la même manière, avec autant de détails, partout.
Dans le cadre de la mission, je me suis rendu dans des départements comme les Ardennes ou le Gard. Ces deux départements se sont efforcés de restreindre l’artificialisation des sols dès les années 90 et sont désormais soumis aux mêmes exigences que les autres départements. Ce n’est pas possible. Il faut évidemment maintenir le même niveau d’exigence pour l’environnement. Il n’y a aucune raison de transiger avec l’environnement. Ce que je propose, c’est de donner plus de flexibilité et de souplesse pour appliquer les règles de compensation à l’échelle de la région pour offrir des opportunités à tous. À mon sens, la région est le meilleur équipier car les entreprises sont aujourd’hui beaucoup trop limitées géographiquement dans leur installation. La région se veut une bonne échelle d’équilibrage. Surtout, cela permet aux entreprises de compenser autrement qu’en plantant des arbres sur les zones artificialisées de leurs sites, ce qui a des effets très limités, par exemple en finançant des parcs naturels régionaux qui manquent de moyens.
Quel regard portez-vous sur l’action de Business France, que vous proposez de renommer Choose France ?
D’abord, la proposition de changement de nom de Business France tient à deux raisons : Business France et la BPI sont trop souvent confondus alors même que les deux entités n’ont absolument pas la même mission ; Choose France est une marque mondialement connue grâce à l’action du président de la République. Dès lors, il me semble opportun de s’appuyer sur la puissance de cette marque pour renforcer l’attractivité de la France qui est aussi affaire d’image.
Business France est très performant dans la réalisation des missions qui lui sont confiées. Ce qui me marque, c’est plutôt l’inégalité de traitement en défaveur des entreprises françaises puisque les services de l’État sont très efficaces pour accompagner les primo-investisseurs étrangers, moins pour aider un entrepreneur français à s’installer dans une nouvelle région ou même un entrepreneur étranger historique.
C'est la raison pour laquelle je souhaite que Choose France devienne l'agence globale à l'attractivité peu importe qui vous soyez. Dès lors que vous avez un projet d'implantation d'une ampleur stratégique pour le pays, il faut que vous puissiez être accompagné dans votre implantation en France.
Comment les conclusions de votre mission ont-elles été reçues par la Première ministre ?
J’ai eu l’occasion de présenter nos conclusions à la Première ministre Élisabeth Borne, au ministre de l'Économie et des Finances Bruno Le Maire, au ministre de l'Industrie Roland Lescure ainsi qu’au ministre du Commerce extérieur Olivier Becht. Les différents ministères m’ont affirmé travailler sur différents projets de loi à la rentrée dans lesquels ils intégreront certaines propositions que j’ai formulées.
C’est l’occasion pour moi de vous dire ce qui me passionne dans mon mandat de parlementaire, à savoir l’incessante co-construction des textes législatifs entre le gouvernement et la majorité parlementaire.
Un dernier mot ?
S'il y a un message que je voudrais que l’on retienne de la mission, c'est qu'il n’est plus possible d’opposer l'attractivité et la souveraineté économique de la France. Trop longtemps nous avons cru que l’attractivité nécessitait de renoncer à une partie de notre indépendance. Cette logique est caduque, désuète, obsolète. C'est le message que le président de la République porte depuis des années et c'est aussi l'ambition à laquelle la mission a été fidèle, à travers sa proposition d’une politique d’attractivité d’attaque au service de l'indépendance et de la sécurité économique de la France.
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