top of page

"Nouvelle-Calédonie : Renoncer au consensus, c'est renoncer à la paix"




Philippe Gomès, Ancien député (2012/2022), Président du gouvernement (2009/2011) et Président de la province sud (2004/2009). Maire honoraire de La Foa, Élu au congrès de la Nouvelle-Calédonie


Tout d’abord, pourriez-vous nous donner votre analyse des événements ayant conduit à l'insurrection indépendantiste (contre le projet de loi constitutionnelle prévoyant l’élargissement du corps électoral pour les élections provinciales) du 13 mai 2024 ?


C’est très simple. L’Etat a manqué à tous ses devoirs à l’égard de la Nouvelle-Calédonie en s’essuyant les pieds sur ce qui a permis au pays de vivre en paix, ces 36 dernières années, c’est-à-dire depuis la signature des Accords de Matignon en 1988 par Michel Rocard, Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou.

Il a manqué à son devoir d’impartialité en nommant Sonia Backes, chef de file de la droite radicale, membre du Gouvernement en 2022. 

Il a manqué à son devoir de consensus, en tentant de modifier « unilatéralement », comme l’a souligné le Sénat dans un rapport, le corps électoral calédonien.

Or, renoncer au consensus et à l’impartialité chez nous, c’est renoncer à la paix. 


Face aux conséquences économiques critiques de la crise, vous plaidez pour un plan quinquennal de « reconstruction et d’accompagnement de la Nouvelle-Calédonie ». Quelles en seraient les priorités et qu’attendez-vous de l’État pour sa mise en place ? 


Le 28 août dernier, le Congrès a voté à la quasi-unanimité une résolution demandant l’adoption d’un plan 2024-2029 de reconstruction et d’accompagnement de la Nouvelle-Calédonie par l’Etat pour éviter la mort économique et sociale du pays.  

Cette résolution s’appuie sur trois principes mis en œuvre par le gouvernement de la République au lendemain du cyclone Irma qui avait ravagé les iles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy : La compensation financière des pertes fiscales et sociales subies par les collectivités et les régimes sociaux, le financement des régimes de chômage partiel et total, et le soutien aux entreprises, en termes de trésorerie et d’incitations fiscales à la reconstruction. 

Si cet appel au secours n’est pas entendu, ce sont plusieurs dizaines de milliers de Calédoniens, dépourvus de tous revenus, qui vont se retrouver en quête d'emploi sur un marché du travail inexistant, dès le premier semestre 2025, ce qui ne peut que déboucher sur des émeutes de la faim constitutives d'une véritable insurrection sociale. 


Lors de sa déclaration de politique générale du 1er Octobre, le Premier ministre Michel Barnier a annoncé la « mise en retrait » du projet de réforme constitutionnelle prévoyant le dégel du corps électoral, ainsi que le report des élections provinciales à la fin de l’année 2025. Ce temps supplémentaire sera-t-il selon vous suffisant pour faire émerger un projet de réforme consensuel concernant l’avenir institutionnel du territoire ? 


Nous n’avons pas d’autres choix que de nous entendre. A défaut, la Nouvelle-Calédonie s’enfoncera dans une guerre civile larvée qui ne dira pas son nom, et qui finira par des « Accords d’Evian » sur lesquels tout le monde s’essuiera les pieds au lendemain même de leur signature. Mais ce ne sera pas simple : entre la droite radicale qui demande désormais la partition du pays (tous les pouvoirs aux provinces) et les indépendantistes extrémistes qui exigent désormais une indépendance unilatérale, le chemin du consensus sera difficile à trouver…

L’Etat devra prendre ses responsabilités et poursuivre sur la voie de la décolonisation et de l’émancipation sur laquelle nous sommes engagés depuis le drame d’Ouvéa.


Vous avez salué la « mission de concertation et de dialogue » annoncée par Michel Barnier et pilotée par les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, qui se rendront prochainement à Nouméa. Qu’espérez-vous de cette mission ? 


Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher sont les bonnes personnes pour mener à bien cette mission. Je ne doute pas qu’ils seront faire preuve de l’humilité et du sens de l’écoute dont les précédents ministres des Outre-Mer ont manqué cruellement en croyant écrire sur une page blanche. C’est la seule manière de renouer les fils du dialogue. Notre pays c’est 3000 ans de civilisation Kanak, 170 ans de colonisation et 36 années d’accord. Les révoltes du peuple autochtone ont rythmé notre histoire depuis l’insurrection de 1878, les événements des années 80, jusqu’aux émeutes du 13 mai. Cette humilité est d’autant plus nécessaire que si l’écart entre le OUI et le NON à l’indépendance était de 20 000 voix au référendum de 2018, il s’est réduit à 9 900 voix (53/47) à celui de 2020. Enfin aux Législatives de 2022, les candidats indépendantistes ont rassemblé, au deuxième tour, 10 000 voix de plus que les non indépendantistes, avec un taux de participation de 71%.  


Vous avez positivement accueilli la nomination de François-Noël Buffet, anciennement sénateur du Rhône, au poste de ministre des Outre-mer. Il vient de terminer sa visite en Nouvelle Calédonie. êtes-vous satisfait de cette visite? A t-elle répondu à l'ensemble de vos attentes? 


Si le Ministre est visiblement très engagé dans le dossier, sa marge de manœuvre au plan politique comme budgétaire est extrêmement réduite. La seule intervention de l’Etat déjà annoncée dans la loi de finances pour 2025 est d’endetter la Nouvelle-Calédonie à hauteur de 500 millions d’euros supplémentaires en 2025, pour rembourser les avances consenties par l’Etat… en 2024. L’Etat nous fait emprunter pour se rembourser ! Fallait oser…Notre pays n’aura jamais les moyens, ni demain, ni après demain, de s’acquitter d’une telle dette. En conséquence l’aide de l’Etat doit être apportée sous forme de subventions. Ce n’est pas un choix pour l’Etat, mais un devoir à l’égard d’une collectivité de la République qui a été ravagée par l’incurie politique et sécuritaire du gouvernement. C’est un acte de solidarité nationale que nous demandons.  


"La solidarité nationale a joué et continuera à jouer en Nouvelle-Calédonie" déclarait le Ministre des Outre-Mer.  Au-delà de cette déclaration de principe, comme souvent, ne pensez-vous pas que le gouvernement prend le risque une nouvelle fois de se laisser enfermer dans une lecture seulement budgétaire du dossier calédonien, oubliant les enjeux politiques et sociétaux?  


Effectivement, la question financière à très court terme ne permettra à notre pays que de survivre. L’enjeu est politique et sociétal. 

Politique d’abord parce que sans un accord global sur l’avenir du pays entre les indépendantistes, les non-indépendantistes et l’Etat, les Calédoniens ne pourront pas se projeter, ni vivre en paix. 6 000 départs nets de Nouvelle-Calédonie ont été comptabilisés au premier semestre de cette année, soit près de 3% de la population. C’est colossal, et le mouvement s’amplifie. Notre pays se vide de ses forces vives, chefs d’entreprise, artisans, cadres supérieurs, professions libérale et médicale, etc… 

Sociétal ensuite parce que la question qui se pose pour nous c’est « comment faire peuple ? » Comment trouver le chemin pour favoriser l’émergence de ce peuple calédonien composé d’une population autochtone, et de celles et ceux venus d’Europe, d’Asie et d’Océanie tout au long de la colonisation pénale et libre, qui ont contribué à mettre cette terre du Pacifique en valeur, et qui y ont fait souche parfois depuis plusieurs générations. 

Cette question est d’autant plus prégnante aujourd’hui que le vivre ensemble ne sort pas indemne des évènements du 13 mai. 

Comments


bottom of page