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"Les Français : des lanceurs d’alerte ?"



Tribune de Brice Soccol[1], Président du cabinet Public & Private Link, spécialiste du développement territorial



« Malgré leur fragilité croissante, les Français demeurent un peuple intellectuel, lyrique et pugnace, énergique et impatient, empli de générosité, de fierté et d’un insatiable désir de perfectibilité. Mais ils sont déchirés entre de multiples contradictions : ils sont viscéralement attachés à l’idéal de la démocratie mais vulnérables à la tentation du héros providentiel. Ils demeurent convaincus de la capacité d’action de l’Etat, mais le jugent à mille lieues de leurs préoccupations et ne cessent de se rebeller contre ses décisions…»[1]. Tout est dit ! La France, c’est tout cela à la fois ! Ce sont ceux qui se référent au sacre de Clovis et ceux qui portent haut les valeurs de la Révolution française. Communauté de citoyens responsables, les Français se sont conduits en lanceurs d’alerte sociaux lors de la crise des Gilets jaunes, lors des élections présidentielles de 2022, lors de la réforme des retraites, et plus récemment lors des dernières élections européennes et législatives.

 

Mais les Français doutent aujourd’hui ; ils s’interrogent sur les grandes transitions nationales et internationales, la vulnérabilité de l’Europe, la gouvernance de la France, le retour des guerres, la crise migratoire, l’impuissance publique dans les domaines de la santé, de la sécurité et de l’éducation nationale. Aux alertes lancées par les Français, on a répondu « Front républicain », arguties institutionnelles, promesse de nouveaux 49.3, coalition de bric et de broc, faux retour à un régime parlementaire, puisque sous la cinquième République, le vrai pouvoir se situe au niveau de l’exécutif…

 

Nous sommes dans un moment de notre histoire politique « de décalage » entre les aspirations citoyennes et la représentation nationale, comme si l’on avait fait sortir artificiellement le fleuve de son lit, en construisant une digue, et ainsi suspendu le cours du temps politique.

 

Cela nous rappelle les élections législatives de 1951 qui ont également eu lieu dans un contexte de crise politique. La troisième force, composée d’une coalition de partis modérés de centre droit et de centre gauche (MRP, SFIO, Radicaux, UDSR) redoutait de perdre les élections face au Parti communiste français et au RPF, ce nouveau parti fondé par le général de Gaulle. Le gouvernement de Pierre Queuille va donc adopter une nouvelle loi électorale, la loi dite des apparentements, qui permet à des listes ayant passé des accords avant les élections de remporter l’intégralité des sièges à pourvoir dans un département si elles obtiennent 50% des voix. La loi des apparentements a fonctionné ; la majorité affaiblie se maintiendra au pouvoir, face aux deux partis arrivés en tête le RPF et le Parti communiste qui n’obtiendront qu’un tiers des députés, alors qu’ils avaient presque la moitié des voix ! Henri Queuille parlera alors de « chambre hexagonale » ; aucune des différentes formations politiques n’étant en mesure d’assurer une prédominance politique. L’histoire retiendra que « les marchandages des partis passent avant les intérêts de la France », comme l’affirmait le général de Gaulle, lui qui présenta aux Français en 1958 le projet de constitution de la Ve République.

 

Quel paradoxe ! L’élection présidentielle de 2017 s’est traduite comme le moment où se sont effondrés les partis politiques traditionnels qui ont structuré la vie politique de la Vème République, et sept ans plus tard, toujours à bout de souffle, on souhaite faire reposer sur ces mêmes partis notre vie parlementaire et notre avenir politique !

 

Or, la défiance des Français à l’égard des partis de gouvernement et des élites ne cessent de croître, symbolisée par l’abstention, le vote contestataire ou les manifestations populaires (Gilets jaunes, réforme des retraites, etc.). Les élections législatives du mois de juin dernier n’ont fait que renforcer l’impuissance du pouvoir parlementaire – avec onze groupes politiques ! - à transformer le quotidien de nos concitoyens et ce n’est pas la participation élevée du vote qui renforcera sa légitimité.

 

A ne pas vouloir entendre les Français, lanceurs d’alertes, et en affaiblissant par des arguties politiques le Parlement, le risque est immense de faire basculer la France dans une « confusion démocratique ». Des voies existent néanmoins, parmi lesquelles l’acceptation des extrêmes dans le jeu parlementaire, afin de former des coalitions de compromis plus stables, le vote d’une loi ordinaire prévoyant des primes majoritaires favorisant une véritable parlementarisation de notre régime, ou enfin le choix d’un référendum initié par le Président de la République (article 11) sur l’instauration, par exemple de la proportionnelle et un rééquilibrage institutionnel entre les pouvoirs du Président de la République et du Parlement.

 

Au-delà de cette clarification, il faudra répondre aux différentes attentes de nos concitoyens, tout en définissant des perspectives communes. Cela signifie définir un nouveau récit national dans le cadre d’une mobilisation de l’ensemble de nos élus locaux… Non pas celui de « la France de demain » reposant sur le socle d’une juxtaposition de minorités et de communautés, mais pour reprendre les mots d’Albert Camus, « d’une société nationale » ouverte sur « une perspective d’universel ».

 

Brice Soccol publiera le 12 septembre « Parlons-nous tous la même langue ? – Comment les imaginaires transforment la France », coécrit avec Frédéric Dabi, aux Editions de l’Aube.

 


[1] Sudhir Hazareesingh, Extrait de « Ce pays qui aime les idées, Histoire d’une passion française », traduit de l’anglais par Marie-Anne de Béru, Flammarion, 2015 (titre anglais : How the French think : an affectionate Portrait of an Intellectual People).

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