Note de Sylvie Brunet, députée européenne et vice-présidente du groupe parlementaire Renew Europe
Les sujets sociaux sont particulièrement à l’ordre du jour de cette Présidence française de l’Union Européenne qui vient de s’ouvrir pour six mois car il ne peut plus y avoir de développement du projet européen sans une dimension sociale forte. La crise de la Covid et son impact sur les marchés du travail a encore renforcé l’impérieuse nécessité d’une réponse européenne.
La priorité de la Présidence française est bien sûr de faire avancer l’agenda législatif en collaboration étroite avec le Parlement européen et la Commission européenne.
Trois propositions de directives sont d’actualité :
En premier lieu, la directive sur les salaires minimaux adéquats dans l’Union européenne
L’aboutissement du projet de directive sur les salaires minimaux figure au rang des priorités de ce semestre. La garantie d’une rémunération adéquate est une condition essentielle pour un marché de l’emploi protecteur. L’enjeu de ce texte est de créer un cadre à l’échelle de l’Union européenne pour garantir que les salaires minimaux soient fixés à un niveau adéquat et que les travailleurs aient accès à la protection offerte par des salaires minimaux qu’il s’agisse de salaires minimaux légaux ou de salaires fixés par des conventions collectives.
Cette proposition de directive contribue à mettre en œuvre le principe n°6 du socle européen des droits sociaux qui proclame que « les travailleurs ont droit à un salaire équitable leur assurant un niveau de vie décent » et qui promeut des « salaires minimums appropriés ». L’objectif de la directive est de faire en sorte que les travailleurs de l’Union européenne soient protégés par des salaires minimaux adéquats leur permettant de vivre dignement quel que soit l’endroit où ils travaillent. Elle vise également à renforcer la convergence sociale vers le haut.
La directive proposée tient compte de la diversité des différents modèles existant au sein des États membres de l’Union européenne. En effet, dans 21 États membres, il existe un salaire minimal légal, tandis que dans 6 autres (Danemark, Italie, Chypre, Autriche, Finlande et Suède), la protection offerte par des salaires minimaux est assurée au moyen de conventions collectives.
Parmi les principaux points au cœur des discussions, figurent :
Le taux de couverture des négociations collectives en dessous duquel les États membres doivent mettre en œuvre un plan d’action pour les promouvoir ;
Le nombre et la nature des critères qui devront être obligatoirement pris en compte par les États membres pour fixer et actualiser les salaires minimaux légaux et en promouvoir le caractère adéquat ;
L’inscription ou non, dans le corps de la directive, de valeurs quantitatives exprimées en pourcentage du salaire médian brut et/ou du salaire moyen brut et, le cas échéant, leur nature (valeur indicative ou seuil minimal) ;
La possibilité ou non pour les États membres d’autoriser des taux de salaires minimaux légaux différents (variations) pour des catégories spécifiques de travailleurs et des retenues sur les salaires minimaux, ainsi que l’encadrement de ces dispositions.
En termes de calendrier : le Conseil et le Parlement européen ont adopté leurs positions fin 2021 et les discussions entre les différentes institutions pour arriver à un texte de compromis ont commencé fin janvier.
Proposition de directive visant à renforcer l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre hommes et femmes pour un même travail ou un travail de même valeur par la transparence des rémunérations et les mécanismes d’exécution
Cette proposition de directive contribue à la mise en œuvre du principe n°2 du socle européen des droits sociaux qui proclame que « les femmes et les hommes ont droit à une rémunération égale pour un travail de même valeur ». Elle a en effet pour objectif de renforcer l’application de ce droit fondamental. Pour ce faire, elle vise à établir des normes minimales de transparence des rémunérations afin de permettre aux travailleurs de détecter et de prouver une éventuelle discrimination fondée sur le genre. Elle contribuera également à sensibiliser les employeurs à cette question.
Enjeu : Renforcer le cadre européen pour que le principe d’une rémunération égale entre femmes et hommes pour un même travail ou un travail de même valeur soit réellement et pleinement appliqué dans l’Union.
Parmi les principaux points au cœur des discussions figurent :
Le nombre et la nature des critères à utiliser pour évaluer si des travailleurs se trouvent dans une situation comparable ;
Le seuil de travailleurs au-dessus duquel les entreprises doivent rendre publiques et accessibles certaines informations telles que l’écart de rémunération entre les travailleurs féminins et masculins ainsi que la possibilité d’introduire des dispositions spécifiques pour certaines entreprises (la Commission a proposé un seuil de 250 travailleurs);
La nature et le nombre d’informations que les entreprises concernées devront communiquer et/ou publier;
Le pourcentage d’écart du niveau de rémunération moyen entre les genres au-dessus duquel une évaluation conjointe des rémunérations doit être menée ;
La référence au genre plutôt qu’au sexe au sein de la directive ;
Des sanctions et pénalités financières ainsi que la possibilité de système d’alerte pour permettre aux employeurs de corriger la situation ;
La formalisation du rôle des représentants des travailleurs et des syndicats ;
Le renforcement de la lutte contre les discriminations intersectionnelles.
En termes de calendrier, la position du Parlement européen sur cette directive devrait être votée fin février/début mars. La Présidence française prendrait alors le relais pour faire progresser le texte aussi loin que possible d’ici la fin du semestre.
Les conditions de travail et la protection sociale des travailleurs des plateformes
Le projet de directive de la Commission européenne a été publié le 8 décembre 2021. Le Parlement va donc commencer ses travaux sur le texte et en parallèle le Conseil, sous la houlette de la France ,commencera à mener des discussions pour contribuer à établir de nouveaux droits pour ces travailleurs.
Enjeu : Apporter plus de sécurité juridique en clarifiant le statut des travailleurs des plateformes, en améliorant leurs conditions de travail et leur accès à la protection sociale, tout en assurant la durabilité des nouvelles formes numériques de travail et en préservant les opportunités qu'elles offrent.
Parmi les principaux points au cœur des discussions, figurent :
Le statut des travailleurs des plateformes notamment la demande d’une présomption réfragable de relation de travail pour les « faux travailleurs indépendants » et en fonction d’un certain nombre de critères établis par le projet de directive.
L’amélioration de la protection sociale notamment des travailleurs indépendants avec la mise en œuvre de la recommandation du Conseil du 8 novembre 2019 relative à l’accès des travailleurs salariés et non-salariés à la protection sociale ;
L’accès à la négociation collective pour les travailleurs indépendants comme un levier d’amélioration des conditions de travail et de rémunération (mise en œuvre actuellement en France)
Une gestion algorithmique transparente, non discriminatoire et éthique, et l’impact des nouvelles technologies sur l’avenir du travail.
Les enjeux de santé au travail ne seront pas absents des sujets à traiter, notamment en l’attente d’une révision à venir de la directive sur les risques liés à l’amiante et la prévention des cancers professionnels qui fera l’objet d’une conférence de haut niveau à Paris les 7 et 8 mars.
La reprise des travaux sur la révision du règlement relatif à la coordination des systèmes de sécurité sociale est également à l’agenda.
Outre le coup de pouce donné à l’agenda législatif, la France s’est également engagée à porter des initiatives en faveur de l’emploi et de l’adaptation du marché du travail. Elle travaillera d’ailleurs à un accord au Conseil sur la recommandation sur les comptes de formation individuels et sur le projet de recommandation de l’accompagnement social de la transition climatique.
La troisième priorité de la France sera de porter des enjeux majeurs dans le cadre d’une relance européenne inclusive, la Présidence française de l’UE souhaite faire du nouveau modèle de croissance un élément majeur de lutte contre la pauvreté et la précarité. La mise en œuvre tant de la garantie enfance que de la stratégie des droits des personnes en situation de handicap est cruciale. Les enjeux de relance inclusive seront aussi au cœur des évènements que la France organisera ce semestre : autonomisation économique des femmes, fin janvier, économie sociale et solidaire mi-février, sur la politique du logement et la lutte contre le sans-abrisme, fin février et sur les enjeux en matière d’insertion début mars.
Enfin la France s’est engagée à porter des initiatives sur l’insertion professionnelle des jeunes particulièrement sur le rôle de la mobilité européenne dont le développement d’Erasmus dans l’apprentissage. A ce sujet, le programme ALMA, décidé au niveau européen pour proposer aux jeunes en cours d’insertion une expérience d’emploi en Europe ,fera l’objet de toute l’attention de la France.
Cette Présidence française de l’Union Européenne pour six mois se veut donc résolument socialement ambitieuse.
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