Tribune de Jean Dumonteil
Alors que l’actualité politique française est dominée par une énième réforme des retraite, le président de la République a reçu le 13 mars les représentants des principales associations d’élus locaux pour faire progresser la décentralisation dans notre pays. Emmanuel Macron a surtout écouté les demandes et propositions des élus locaux. Deux autres réunions de travail sont prévues auxquelles seront conviés le président du Sénat et la présidente de l’Assemblée nationale. Des annonces de transfert de compétences et réforme institutionnelle pourraient être faites avant l’été.
Dans un discours à Château-Gontier, en Mayenne, en octobre dernier, Emmanuel Macron a promis une "vraie décentralisation", assortie de transferts de responsabilités et de financements. La décentralisation française est un chantier permanent mais elle reste un concept politico-administratif surtout compréhensible pour les élus et les cadres administratifs. Depuis la réforme constitutionnelle de 2003, la décentralisation est pourtant gravée dans le marbre de l’article 1er de notre loi fondamentale : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. […] Son organisation est décentralisée. » Cette organisation décentralisée est supposée de pas être seulement une disposition technique mais bien un élément structurant de notre projet de société.
Il y a quelques années, l’Institut Médiascopie avait réalisé une étude sur les mots de la décentralisation. Si les mots de maire, commune, département et région bénéficient d’une image positive et d’une forte reconnaissance de la part de nos concitoyens, tout comme le concept de proximité, le jugement se dégrade définitivement avec le mot décentralisation qui est souvent perçu comme désengagement de l’État. La communication est brouillée, les commentateurs, voire les journalistes politiques parfois, utilisent le mot décentralisation pour parler de délocalisation, c’est-à-dire des transferts d’établissements publics de Paris vers la province, et de déconcentration qui signifie une organisation plus autonome des services de l’État dans les régions et départements.
La Cour des comptes vient de publier, dans son rapport annuel 2023, une excellente synthèse en forme de bilan de quarante ans de décentralisation, et conclut que « le statu quo n’est pas tenable. Il convient donc de préparer les conditions d’une réforme ambitieuse en activant l’ensemble des leviers disponibles pour, dans l’immédiat, simplifier l’organisation et mieux coordonner les interventions des différents échelons de gestion locale et des services déconcentrés de l’État ». Les magistrats financiers concluent qu’ « il s’agit en définitive de renouer avec les trois objectifs fondateurs de la décentralisation : renforcer la démocratie locale, rapprocher la décision politique et administrative du citoyen, améliorer l’efficacité́ et l’efficience de la gestion publique. »
Vaste chantier car, quatre décennies après les grandes lois de décentralisation Mitterrand-Defferre, l’organisation politico-administrative française révèle une décentralisation façon puzzle : complexité, compétences partagées, voire éparpillées, entre les différents niveaux de collectivités, l’État et ses grands établissements publics. Les blocs de compétences sont souvent mal définis. Chaque niveau veut intervenir dans tous les domaines et aucun n’est pas prêt à abdiquer la moindre parcelle de pouvoir. La décentralisation, comme la simplification administrative, demeure une idée neuve dans notre pays et risque de le rester encore longtemps.
Comments