Entretien avec Sébastien Martin, Président de la communauté d’agglomération du Grand Chalon et d’Intercommunalités de France.
Prévu au sein de la loi Climat et résilience adoptée en août 2021, l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) d’ici à 2050 traduit la contrainte environnementale globale dans le champ de l’urbanisme. Sa raison d’être est, par conséquence, environnementale. Toutefois, sa mise en place se heurte, sinon à des réticences, à des inquiétudes. Celles-ci sont-elles fondées ?
Il n’est rien de plus ordinaire que la manifestation d’inquiétudes touchant à la réalité d’une liberté, en l’occurrence la liberté de construction, lorsque l’on décide de l’encadrer davantage.
Toutefois, en réalité, je suis convaincu que nous pouvons concilier la liberté de l’acte de construire avec l’objectif nécessaire de ZAN. D’abord, la mise en œuvre du ZAN se fait en deux étapes (2031 et 2050) si bien que nous avons encore le temps de mettre au jour de nouvelles solutions conciliatrices – notamment à l’échelle de l’intercommunalité.
Quelles formes pourraient prendre ces nouveaux outils de conciliation ?
À vrai dire, des outils de conciliation sont d’ores et déjà utilisés par certaines collectivités ! L’exemple du plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI) montre que, lorsqu’on décide de travailler à plusieurs, à l’échelle de l’intercommunalité, on parvient à suivre une trajectoire d’urbanisation vertueuse. Une étude récente d’Intercommunalités de France met en exergue que les territoires dotés d’un PLUI obtiennent, en moyenne, une artificialisation des sols inférieure de 20% à ceux qui s’y attèlent de façon isolée. Par exemple, au sein de l’agglomération du Grand Chalon que je préside, nous avions 1.477 hectares artificialisables avant l’adoption d’un PLUI ; nous en avons désormais 390.
De manière plus générale, il faut une solution qui passe par le dialogue. Le déploiement de conventions de sobriété foncière, à l’image des conventions de mixité sociale, offrirait une solution intelligente associant, au besoin, les territoires aux services déconcentrés de l’État dans la définition d’une trajectoire conforme au ZAN. Cela impulserait une démarche de dialogue qui me semble plus efficace que l’adoption d’une nouvelle loi politique et conjoncturelle qui n’apporterait qu’une solution imparfaite devant la pluralité des situations locales.
Pourquoi l’intercommunalité est-elle l’échelle la plus pertinente pour mettre en œuvre le ZAN ?
Premièrement, le ZAN est, en somme, affaire d’espaces. Penser le ZAN à l’échelle de l’intercommunalité, c’est l’appréhender sur un territoire plus large. Cela permet donc de trouver plus facilement des espaces de compensation, rendant la mise en œuvre du ZAN plus facile.
Deuxièmement, les politiques urbaines ne peuvent se concevoir à l’échelle de chaque commune puisqu’elles engagent tout un territoire. Si nous voulons insuffler de véritables dynamiques de territoire, nous devons avoir une vision et une discussion de ces enjeux à l’échelle du territoire.
Troisièmement, l’aménagement d’une commune suit des cycles : la construction en son sein alterne entre des moments de construction intense et des pauses en la matière. Or, la consommation foncière autorisée d’ici à 2031 est déterminée, pour chaque commune, à l’aune de sa consommation foncière des dix dernières années – celle-ci devant être réduite de moitié d’ici à 2031. Ce mode de calcul entraîne de nombreuses disparités, avec leur part d’arbitraire, selon les communes. L’échelle de l’intercommunalité offre une solution réjouissante en permettant de lisser, au niveau d’un territoire plus vaste, les différentes positions dans le cycle propres à chaque commune. Lorsque des communes sont en phase ascendante, elles trouvent dans les communes voisines les espaces qui ne sont pas exploitables sur leurs territoires et, vice-versa, les communes en phase descendante voient se maintenir un certain dynamisme en leur sein grâce aux variations opposées des premières.
En définitive, l’intercommunalité se veut un espace de dialogue intelligent au service des territoires et de leur aménagement. Je suis convaincu que les élus le réalisent et y adhérent toujours davantage. Près de la moitié des intercommunalités disposent d’un PLUI et leur nombre ne fera que croître.
Vous mettez en avant une inadéquation de la fiscalité locale avec l’objectif de ZAN. Pourquoi ? Comment mettre la fiscalité au service du ZAN ?
La fiscalité locale repose essentiellement sur le développement et la consommation foncière. La dernière taxe qui nous incombe est le foncier bâti. Dès lors, en l’état actuel de la fiscalité, si les collectivités poursuivent un certain dynamisme budgétaire, elles sont incitées à faire le choix de consommer plus de fonciers bâtis. Cela entre, naturellement, en contradiction avec l’objectif de sobriété foncière.
C’est pourquoi il est nécessaire de réformer la fiscalité locale et son système d’incitations qui nuisent à la réalisation de nos nouveaux objectifs environnementaux. C’est en ce sens que je propose de mettre la fiscalité au service du ZAN : cela induit un changement de paradigme afin de récompenser la détention de fonciers constructibles, et non plus de fonciers construits. Nous gagnerions à mener un véritable travail de fond sur le sujet, auquel le comité des finances publiques locales pourrait contribuer.
À propos de risques de contradictions, vous alertiez sur la menace d’une contradiction entre le ZAN et la politique de réindustrialisation actuelle…
Tout à fait. La mise en place du ZAN est éminemment politique : elle doit être conduite selon les grandes priorités nationales comme la réindustrialisation. Afin de veiller à ce que le ZAN, mesure nécessaire, ne nuise pas à la réindustrialisation, il me semble judicieux d’appliquer un système de pondération qui faciliterait les arbitrages. Concrètement, la surface artificialisée au sol pour construire une usine se verrait appliquer un coefficient inférieur à 1 et, à l’inverse, le foncier artificialisé pour ériger une nouvelle grande surface un coefficient supérieur à 1. On retrouve ici l’importance des systèmes d’incitations.
Vous le disiez, l’urbanisme, l’acte de construction, le ZAN ; ce sont des lieux de cristallisation politique. Par conséquent, il apparait également nécessaire de construire un consentement démocratique à la mise en œuvre du ZAN…
Oui et comment si ce n’est par les intercommunalités !
Les intercommunalités disposent des outils nécessaires pour renforcer l’adhésion de tous au ZAN. Pour ne prendre qu’un seul exemple, la société civile est toujours associée à l’élaboration d’un Plan Climat. Nous sommes véritablement outillés pour accompagner nos administrés pour un déploiement intelligent du ZAN.
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