Entretien avec Maximin Charpentier, Agriculteur / Président de la Chambre d’agriculture Grand Est / Membre du bureau Chambre agriculture France dossier IRD / Président Terrasolis - Terralab / Président de Numagri
Alors qu’il y a malheureusement encore trop souvent un regard négatif porté sur l’agriculture, il semblerait qu’elle soit, au contraire, l’une des clefs pour répondre aux grands défis d’aujourd’hui et de demain. Dans un contexte de réchauffement climatique et d’appauvrissement des ressources naturelles, quelles solutions l’agriculture pourrait-elle apporter ?
L’agriculture est la jonction que réalise l’Agriculteur entre ciel et terre. C’est un métier magnifique dont le sens même est lié à la nature. Toute activité humaine sur terre doit penser sa durabilité. C’est l’idée d’ « une planète une santé » - « one health for one planet » développée par les Nations Unies.
Notre surconsommation depuis l’ère industrielle n’a pas été pensée ainsi. L’utilisation massive des énergies fossiles qui sont en fait du carbone que l’humanité a mis des milliards d’années à enfouir sous terre a été nécessaire pour assouvir notre soif de développement dit moderne. La modernité réside dans l’action de penser globalement notre action sur terre avec une approche systémique de nos exploitations et de nos territoires.
L’idée d’atteindre la neutralité carbone en 2050 est possible et l’agriculture peut y parvenir. Les solutions doivent intégrer deux préalables, deux fils rouges inséparable :
L’exigence de la préservation de la qualité des sols et de l’environnement en général
Et la prise en compte de la sobriété, ne plus gâcher. Toute chose a une valeur.
Les travaux de Terrasolis ont pu mettre en avant que pour atteindre les objectifs cités ci-dessus, il faut diminuer nos gaz à effet de serre de 75% tout en augmentant notre production de 25%. Pour cela, les pistes proposées sont l’intégration dans l’assolement et la rotation des cultures protéiques, des légumineuses et des couverts permanents du sol. L’utilisation d’azote minéral produit par de l’énergie fossile doit être fortement diminuée et l’utilisation d’engrais azoté doit être enfoui pour éviter d’être évaporé dans l’atmosphère. L’une des solutions majeures est de pouvoir méthaniser une partie de la biomasse produite qui a servi à couvrir les sols toute l’année non dédiés à l’alimentation humaine et de fournir de l’énergie. C’est un outil qui permet de valoriser des cultures qui ont un impact positif sur l’environnement.
Le numérique est également un allié très important pour optimiser au mieux ce qu’on doit apporter au sol et aux plantes et le tracer, afin de pouvoir valoriser des pratiques responsables.
Pour que l’agriculture réussisse la mise en œuvre de ces solutions, quelles transformations, quelles remises en question doit-elle vivre ? Comment chacun d’entre nous pourrait-il prendre sa part en matière de bilan carbone et œuvrer à la neutralité carbone ?
Pour réussir la transformation agricole, il doit y avoir avant tout une transformation du comportement des consommateurs ! Il faudrait associer à l’objectif ambitieux qui est demandé aux agriculteurs le marché et les consommateurs. Je m’explique, aujourd’hui, le consommateur est orienté vers le bas prix sous l’idée de la défense du pouvoir d’achat. Il faudrait développer massivement les ACV - « analyse de cycle de vie » - de chaque produit et ainsi connaître le bilan carbone de chaque produit. Ainsi nous pourrions, à l’image d’une carte de fidélité, cumuler des points carbone financés par le marché des compensations carbone et ainsi permettre à un consommateur de pouvoir acheter un produit avec un faible impact moins cher. Plus je consomme vert, plus je peux consommer vert à moindre prix. C’est une façon d’associer le consommateur à l’objectif de la neutralité carbone et de créer les conditions d’un marché qui rémunère à sa juste valeur les efforts fournis en amont et donc de financer des pratiques environnementales optimisées. Cela étant dit, nous pouvons parler des transformations proprement dites agricoles ; elles sont de ce fait très claires. Produire avec la meilleure ACV possible. On a le thermomètre de la performance et de la rémunération.
Vous avez conçu un passionnant projet d’innovation, - Terrasolis -, qui semble constituer un laboratoire d’expérimentation de l’avenir. Pourriez-vous nous le décrire et nous expliquer ses objectifs et ses ambitions ? Pour qu’un tel projet voie le jour, comment mettre autour de la table des parties prenantes aussi différentes ?
Terrasolis tient en une phrase : « accompagner l’agriculture et les territoires dans la neutralité carbone 2050 ». L’agriculture doit, comme tous les secteurs d’activités, trouver des solutions pour atteindre cette neutralité carbone et nous pensons qu’elle peut participer à hauteur de 20% du bouquet énergie verte française, tout en renforçant la durabilité des sols. Aujourd’hui, il faut 500 équivalents litres de fuel pour produire 10 Tonnes de blé. Le projet de Terrasolis est de passer à 300 et en énergie décarbonée pour produire l’équivalent de 13 Tonnes de blé.
L’agriculture française s’est beaucoup organisée en silo, et donc par filière depuis l’après-guerre. La création de valeur passe essentiellement par l’approche globale des systèmes d’exploitation. C’est en ce sens que nous souhaitons les aider. Nos expérimentations s’analysent sur des rotations de 8 ans. Quarante-cinq membres constituent notre association. Afin d’associer un maximum de parties prenantes, nous développons un démonstrateur territorial près de Reims qui s’appelle TERRALAB : 240 ha de terre agricole associés avec 6 agriculteurs et le développement d’un PIA 4 France 2030, qui porte le projet de démonstrateur territorial « souveraineté alimentaire et énergétique ». Cela nous permet de travailler avec un consortium d’acteurs bien identifiés, de la communauté d’agglomération du grand Reims aux universités, en passant par le tissu industriel et consulaire.
Vous avez lancé une nouvelle génération de stations-service multi-énergie KAARGREEN by Terrasolis energy, pourriez-vous nous en dire plus et nous expliquer en quoi il s’agit d’une approche radicalement nouvelle ?
La production d’énergie neutre en carbone est très précieuse. L’ère du pétrole est une économie qui ne prend pas en compte la valeur intrinsèque du produit. Dans tout ce que nous consommons, c’est le distributeur qui prend 40% de marge. Dans l’ère du carbone vert, ce n’est plus possible. Le produit a une valeur conséquente. La décarbonation passe par une vision territoriale du développement économique. Un territoire, un gisement un certain type d’usage. Cet écosystème doit être propriétaire de ses outils. C’est pourquoi nous avons développé une franchise de stations-service multi énergie renouvelable. 30% du capital appartient à la franchise et 70% aux usagers.
Pour réussir la transformation de notre économie vers une économie dite plus verte, il faut être inclusif et associer les intérêts partagés d’un territoire, développer l’auto-consommation, le gré à gré, les intérêts partagés entre des entreprises qui ne se seraient jamais parlé auparavant. Un déchet pour l’un est de l’énergie pour l’autre.
Selon vous, quel sera le rôle de l’agriculteur dans la Cité demain ?
Il doit être le symbole du lien entre ciel et terre !
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