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« Il faut toujours essayer de marcher sur deux pieds : lutter contre les difficultés et la misère tout en reconnaissant les belles choses pour les promouvoir »



Entretien avec Dominique Vérien (UDI), Sénatrice de l’Yonne et Présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat.


Dans le contexte actuel de fragmentation politique de l’Assemblée nationale, quel est le rôle du Sénat ? Le « poids politique » des Sénateurs sera-t-il renforcé ?

 

Le poids politique des Sénateurs est en réalité renforcé quasiment depuis 2017, mais pour des raisons différentes à chaque fois. En 2017, ce renforcement était dû à une très forte majorité présidentielle à l’Assemblée nationale, qui ne permettait pas de véritables débats ; tous ceux qui avaient quelque chose à négocier se tournaient alors vers le Sénat pour que le débat puisse avoir lieu, dans l’idée d’obtenir des commissions mixtes paritaires conclusives. Alors évidemment tout ne se passait pas forcément bien, et même si cela n’a a priori rien à voir avec le travail parlementaire, il y a eu une tension entre le nouveau pouvoir et le Sénat, dont le paroxysme fut la Commission Benalla qui a créé un avant/après.

 

En 2022, la majorité présidentielle n’était qu’une majorité relative qui ne pouvait plus écraser le vote par son ultra majorité. Il y avait déjà deux forts groupes La France Insoumise et Rassemblement National à l’Assemblée nationale, ce qui rendait les négociations compliquées. Par conséquent, le Sénat était à nouveau le lieu privilégié de discussion. De plus, la commission mixte paritaire (CMP), représentant proportionnellement les deux chambres avec 7 députés et 7 sénateurs, était composée d’une coalition majoritaire entre la majorité présidentielle, les Républicains (LR) et l’Union centriste (UC). C’est pourquoi, en 2022, la plupart des grands textes sont passés en première lecture au Sénat, étant donné que tout ce qui était négocié avec la majorité sénatoriale avait une vraie chance de réussite en CMP. Les sénateurs avaient donc déjà un grand pouvoir.

 

Aujourd’hui, ce pouvoir risque d’être amoindri car personne n’a de majorité relative à l’Assemblée nationale, seul, au niveau des trois blocs. C’est pourquoi il est essentiel de regarder comment sera composée la CMP. L’intérêt d’avoir retenu Michel Barnier au poste de Premier ministre est très probablement de pouvoir mener correctement la négociation avec le Sénat et la majorité sénatoriale. Cela permettrait aussi au gouvernement d’avoir une majorité en CMP (avec les Républicains, LIOT et le groupe de l’ex-majorité présidentielle au niveau de l’Assemblée nationale, et avec les Républicains et l’Union centriste au niveau du Sénat). Il y a donc un sens à faire le gouvernement tel qu’il est car cela donne une majorité qui est liée au Parlement dans son entièreté et non pas seulement à l’Assemblée nationale, ce qui est nécessaire pour faire voter des lois rapidement.

 

A propos, vous avez salué le choix de Michel Barnier au poste de Premier ministre qui est selon vous celui de l’expérience. Vous avez également reconnu le caractère apaisant de son profil. Comment imaginez-vous la suite ?


Il n’est pas inutile d’avoir choisi ce profil là car il permettra de mettre d’accord le Parlement, qui est une fois encore composé de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il faudrait cependant qu’il ait derrière lui une partie de la gauche afin qu’il passe de meilleurs moments que ceux qu’on lui a annoncés à l’Assemblée nationale. Pour l’instant cela semble compliqué, puisque si les socialistes et socio-démocrates avaient souhaité que l’on sorte de cet imbroglio démocratique, ils auraient accepté le profil de Bernard Cazeneuve. Nous allons voir ce qu’il va se passer au moment du budget. Si le budget ne passe pas, nous pourrions entrer dans une période de grand désordre jusqu’en juin prochain.

 

Quelles seraient, selon vous, les priorités qui devraient figurer à l’agenda parlementaire dans les semaines et mois à venir ?

 

Au niveau du Sénat, nous avons actuellement trois grands sujets touchant les territoires.

 

- L’agriculture. Le Projet de loi Agriculture a été voté à l’Assemblée nationale le 28 mai dernier et s’est arrêté avant d’être débattu au Sénat. Confrontés à de très mauvaises récoltes et à l’augmentation des coûts de l’énergie, les agriculteurs font aujourd’hui face à une situation très tendue. Le gouvernement s’était engagé à agir rapidement sur ce projet de loi, or depuis l’arrêt de ce dernier, les choses se sont détériorées. Il est ainsi essentiel que cette question devienne une priorité absolue.


- Eau et assainissement. Si les choses demeurent en l’état, le transfert des compétences eau potable et assainissement des communes aux communautés de communes sera obligatoire au 1er janvier 2026. Nous savons que certains ne sont pas d’accord sur ce transfert tel qu’il est conçu en l’état et qu’un certain nombre d’éléments ont déjà fait l’objet de négociations du temps du Ministre Christophe Béchu (Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires de France), sans aboutir. Le texte a été remis en octobre au niveau de l’Union Centriste et si nous devons y apporter des modifications, cela va se jouer maintenant car nous ne pourrons pas le faire en 2025 pour 2026.


- Le Zéro Artificialisation Nette (ZAN) : Ce sujet nous préoccupe depuis un certain temps et il apparaît essentiel de le réexaminer en profondeur. Dans sa forme actuelle, le ZAN va freiner notre capacité à construire des logements et à développer de l’industrie. Il faut très clairement le repenser car nous avons aussi une vraie crise du logement dont nous devons nous emparer.

 

Vous avez été élue en octobre 2023 Présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat. Quelle est aujourd’hui la portée de votre engagement ?

 

Aujourd’hui, nous allons continuer à défendre certains rapports sortis au niveau de la délégation aux droits des femmes du Sénat, dont la mise en œuvre n’a pas pu aboutir en raison d’une grande instabilité ministérielle. Je pense tout d’abord à deux rapports qui n’ont pas rencontré leur succès, faute de ministre avec qui travailler sur ces sujets. 

 

Le rapport sur la santé des femmes au travail. Nous avons l’impression que les choses ont évolué. Or ce rapport souligne que de nombreux postes de travail demeurent inadaptés aux femmes, leurs normes étant établies sur le fondement de caractéristiques masculines, telles qu’une taille d’1m80 et un poids de 80 kilos. Par exemple, les gants de travail sont en taille unique et conçus pour des mains d’hommes. On s’est aussi rendu compte d’un certain nombre de choses comme l’impact du travail de nuit sur les cancers des femmes. Il nous faut travailler ces sujets mais, faute de ministre de la Santé durable en face de nous, nous n’avons pas pu le faire jusqu’à présent.

 

Nous avons également publié un rapport sur les familles monoparentales, composées à 80% d’une femme seule avec un enfant. Statistiquement, l’impact d’une séparation est plus lourd pour les femmes, en grande partie à cause du logement pour lequel elles ne sont pas prioritaires et qui représente un montant très élevé de leurs revenus. A cela s’ajoute la complexité du calcul des pensions alimentaires, souvent trop basses par rapport aux besoins réels des enfants. Le 9 octobre prochain, nous allons également publier un rapport intitulé Femmes sans abris, traitant des femmes vivant dans la rue avec leurs enfants et du sujet prioritaire du logement.

Cette année, nous avons également décidé de préparer l’avenir avec deux nouveaux rapports : « Femmes dans les sciences » (destiné à comprendre l’évolution des mentalités et à lutter contre le décrochage des filles en maths et en sciences) et « Femmes et Jeux Vidéos ».


Vous avez également rendu au gouvernement, avec la députée Emilie Chandler (Renaissance), le rapport Plan rouge vif destiné à améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales. Plus récemment, notamment face à l’affaire Abbé Pierre, vous recommandez d’étendre le rôle de la Commission Sauvé (CIASE) aux violences faites aux hommes et aux femmes et non plus qu’aux enfants. Quelle serait la conséquence d’une telle extension ?

 

L’avantage d’étendre le rôle de la CIASE (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église) aux hommes et aux femmes est tout simplement de considérer qu’une victime est une victime. La CIASE avait effectivement un prisme très clair qui était celui de la pédocriminalité. Or, ce n’est pas parce que la victime était adulte aux moments des faits qu’elle ne mérite pas d’être reconnue comme telle et d’obtenir un dédommagement comme l’auraient ceux qui ont été victimes alors qu’ils étaient enfants.

 

L’Église a une responsabilité dans la façon dont elle s’est comportée jusqu’à présent et doit s’assurer de reconnaître les victimes. On nous explique que les jeunes qui veulent devenir prêtres sont aujourd’hui mieux sélectionnés et formés… J’espère que cela est vrai et, d’une façon générale, toute la société devrait s’inquiéter de la façon dont nous formons nos filles et garçons – et plus particulièrement de nos garçons. L’Église de France a pu effectuer son travail, grâce au rapport Sauvé et à la CIASE. Il y a un réel engagement en France pour essayer de faire bouger les choses, c’est ce que l’on a vu aussi avec l’implication de Mgr de Moulins-Beaufort qui est aujourd’hui le Président de la conférence des évêques de France.

 

L’inscription du consentement dans le Code pénal, en matière de viol, a été replacée au cœur de l’actualité législative depuis le début du procès des viols de Mazan. Quelles seraient les conséquences d’une telle réforme ?

 

Ce débat a en effet déjà eu lieu au sein de la délégation aux droits des femmes du Sénat mais surtout au sein de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale. Cette proposition vient de l’Europe et consiste à dire que s’il n’y a pas consentement, il y a viol. Cela est venu percuter notre système français, qui définit le viol comme un acte commis par « violence, contrainte, menace ou surprise » et qui s’intéresse par conséquent à la stratégie de l’auteur plus qu’à ce qu’aurait fait ou non la victime.

 

La délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale était plutôt pour une évolution et a décidé de faire un rapport sur ce sujet. Véronique Riotton a ainsi été la Présidente-rapporteure d’une mission d’information sur la définition pénale du viol avec Marie-Charlotte Garin comme co-rapporteure. Elles ont pris conscience que la définition européenne du viol était beaucoup trop large, ce qui risquait même de faire reculer les choses en la matière. C’est pourquoi, elles ont fait une proposition intermédiaire, a priori bien acceptée par le Garde des Sceaux, qui permettrait de faire entrer le consentement dans le Code Pénal sans pour autant fragiliser notre droit. Il est en effet risqué de supprimer totalement l’étude du comportement de l’auteur, particulièrement pour les cas où il n’est pas possible de prouver une absence de consentement.

 

Vous avez aussi travaillé sur la notion de « contrôle coercitif » (définie comme un « des contraintes imposées de manière répétée par un conjoint ») dans le Rapport Plan rouge vif. Pouvez-vous nous en dire plus ?


J’entends continuer de travailler sur le « contrôle coercitif » avec la Présidente de la Cour d’appel de Poitiers et le procureur général. Dans l’Yonne, nous avons aussi un colonel de gendarmerie qui est très engagé sur ce sujet. Nous allons continuer à travailler et s’il y a besoin d’un apport législatif, je serai là pour le proposer ; mais il n’y en a pas forcément besoin. Nous voyons un besoin de formation – si tous les policiers et gendarmes étaient formés à la reconnaissance du contrôle coercitif, cela serait la meilleure des solutions pour savoir identifier un auteur et une victime. Comme pour le viol, cette notion fait porter à l’auteur la responsabilité de ses actes, sans avoir à chercher si la victime est sous emprise.

 

Malgré cette actualité chargée, quelles seraient les raisons d’espérer un avenir meilleur ? Avez-vous un message d’espoir ?

 

S’il y a une vraie raison d’espérer, et nous l’avons vu au moment des Jeux Olympiques, c’est de voir qu’il est possible pour les Français d’être heureux. Car nous ne sommes pas les plus malheureux et il serait bien de parler des trains qui arrivent à l’heure et non pas uniquement de ceux qui arrivent en retard ! Il se passe des choses positives malgré tout. Cette vision des choses nous permettrait, entres autres, de passer le budget, et ce, autour de l’ambition commune de sauver notre planète ; en travaillant pour investir dans ce qui va nous permettre d’être écologiquement plus vertueux. Il est essentiel de regarder le côté positif des transformations que nous devons faire. Il y a aussi un tas de choses qui n’ont aucun coût et qui pourrait apporter beaucoup de sérénité à la société, en pariant notamment sur l’éducation (en voyant les choses différemment sur la relation entre les professeurs et les élèves, entre les élèves entre eux, entre les filles et les garçons…).

 

J’ai toujours dit que je faisais de la politique pour changer le monde en apportant ma goutte d’eau. Il faut essayer de toujours marcher sur deux pieds : lutter contre les difficultés et la misère tout en sachant reconnaître les belles choses et savoir les promouvoir. Les violences intrafamiliales sont un fléau dans mon département, c’est pourquoi je travaille autant sur celles-ci. En parallèle de cet engagement, j’ai créé un prix intitulé les Engagées de l’Yonne destiné aux femmes qui ont fait rayonner l’Yonne en dehors du département. Ces dernières années nous avons remis le prix à certaines des meilleures apprenties de France, à une championne de France d’échec… Ce prix nous permet aussi de travailler sur la parité et de valoriser des femmes victorieuses ainsi que des structures dédiées au bien vivre ensemble. Mon engagement est ainsi double : lutter contre les violences et valoriser les femmes qui réussissent.

 

Entretien réalisé par Victoria Kahn.

 

 

 

 

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