Entretien avec Louise Morel, députée du Bas-Rhin (MoDem)
Vous avez déposé le 3 avril dernier, avec la députée Cécile Untermaier (PS), un rapport d’information portant sur l’évaluation des politiques publiques en faveur de la mobilité sociale des jeunes. Pourquoi ce rapport vous est apparu nécessaire ?
Ce rapport s’inscrit dans le cadre de la mission d’évaluation des politiques publiques qui incombe au législateur. Il est ainsi d’abord l’expression d’une conviction personnelle, celle qu’il est nécessaire de prendre plus de temps dans nos institutions pour évaluer les politiques publiques plutôt que pour légiférer encore davantage.
En ce qui concerne le cœur du rapport, la politique de la jeunesse est un sujet qui me parle particulièrement. J’ai été élue députée à l’âge de 26 ans. J’ai le sentiment d’être encore assez proche de notre jeunesse, de la connaitre et de la comprendre.
Puis, évaluer les politiques publiques en faveur de la mobilité sociale des jeunes, c’est évidemment primordial. C’est surprenant aussi. Je veux dire que lorsque France Stratégie, dans sa contribution d’octobre 2023, identifie plus de 60 dispositifs différents ayant pour objectif la mobilité sociale des jeunes, cela étonne. Une des conclusions du rapport d’information est d’ailleurs de montrer qu’il existe un « maquis » d’aides pour les jeunes. Mais cela ne fait pas une politique de la jeunesse. C’est celle-ci qu’il nous faut construire pour rendre les aides plus visibles, plus cohérentes et donc plus efficaces.
Quels sont les gestes du législateur nécessaires à la construction d’une véritable politique de la jeunesse ?
Lorsqu’on s’engage dans une mission d’évaluation, il faut faire preuve d’honnêteté. Élue de la majorité, il me faut reconnaitre que, il y a dix ans de cela, un rapport d’information décrivait en des termes proches des nôtres la politique de la jeunesse en France. Nous devons en tirer les conclusions et agir.
Cela passe d’abord par la création d’un guichet unique, d’un lieu où chaque jeune pourrait avoir accès à toutes les aides auxquelles il est éligible. Cependant, la création des guichets uniques n’a de sens qu’à condition qu’elle s’accompagne d’une délégation de compétences. Les régions sont censées être cheffes de file en matière de jeunesse mais l’État gère le pass Culture et les communes veulent aussi apporter leur pierre à l’édifice. L’intention de chacun est louable mais cela nuit à la visibilité des aides si bien que, aujourd’hui, ce sont les jeunes les mieux accompagnés qui profitent des dispositifs alors même qu’ils n’en sont pas la cible prioritaire.
Une véritable politique en faveur de la jeunesse, c’est aussi une vision. C’est un projet que l’on porte pour notre jeunesse et notre pays. Cela demande de fixer des grandes orientations. C’est pourquoi nous proposons d’instaurer une loi de programmation des politiques de jeunesse pour dire : nous avons besoin de X médecins, de Y personnes dans l’IA, de Z ouvriers qualifiés d’ici à 20 ans et voici les grandes lignes pour y parvenir. Il faut créer des vocations.
Les Grandes Écoles peinent encore à instaurer une mixité sociale sur leurs bancs. Pourtant, chacun se souvient des critiques adressées à l’endroit de SciencesPo Paris lors de la réforme de son concours d’entrée, en 2019, afin de l’aligner avec l’objectif de 30% d’étudiants boursiers au sein de l’institution. Ne sommes-nous pas un peu schizophrènes ?
Il y a une certaine schizophrénie, sans aucun doute. Mais, en réalité, cela n’a pas bien d’importance : les Grandes Écoles concernent une infime minorité d’une classe d’âge. Ce sont des pôles d’excellence, dont nous avons besoin, et la bataille se situe ailleurs.
L’enjeu est de répondre à la masse d’une classe d’âge. Pour ce faire, il faut créer des vrais motifs de fierté chez les jeunes qui rejoignent des formations moins renommées. J’en suis d’autant plus convaincue que le sentiment de déclassement et la perte de sens ont touché beaucoup de jeunes à la suite de la crise sanitaire.
L’école est, sans conteste, le levier le plus efficace pour renforcer la mobilité sociale des jeunes. Cependant, il en existe d’autres tels que le tutorat, les associations d’insertion sociale ou encore l’entrepreneuriat pour tous. Encouragez-vous ces initiatives ?
C’est très bien que tout le monde prenne sa part. En revanche, comme je le disais plus haut, le risque est aussi de nuire à la visibilité des dispositifs. Du reste, c’est une aberration d’avoir 10.000 dispositifs si cela se fait à la condition que chacun d’entre eux bénéficie d’une enveloppe budgétaire très réduite.
Le foisonnement des dispositifs rend aussi plus difficile leur évaluation. Prenons-en un que nous connaissons tous : Les Cordées de la réussite. Il n’a pas été évalué depuis 2008 ! De même, nous n’avons aucun suivi des enfants passés par l’aide sociale à l’enfance. C’est révoltant.
Dans son ouvrage Pour une politique de la jeunesse (Le Seuil, janvier 2022), le sociologue Camille Peugny estime qu’« une génération du déclassement semble succéder à une génération de la promotion sociale. » N’est-ce pas l’une des explications de la croissance de l’abstention et du vote populiste chez les jeunes ?
Le premier parti de France chez les jeunes, c’est l’abstention. À mon sens, le sentiment de déclassement de certains jeunes nourrit l’idée que, au fond, la politique ne s’intéresse pas eux et qu’il est donc vain de s’intéresser à elle. C’est pour cela que l’abstention l’emporte.
Par ailleurs, en tant que rapporteure du projet de loi visant à réguler l’espace numérique, je sais aussi combien les réseaux sociaux sont pris d’assaut par les partis politiques situés aux extrêmes de notre échiquier politique. Lorsque que l’on sait le temps que les jeunes passent dessus, on comprend aussi un peu mieux leurs votes.
À 28 ans, vous êtes l’une des plus jeunes députées de l’Assemblée nationale si bien qu’il m’est impossible de conclure nos échanges autrement : la démocratie parlementaire ne souffre-t-elle pas d’un manque de représentation de sa jeunesse en son sein ?
Si ! Et nous n’avons aucune raison de nous y résoudre. La parité entre les femmes et les hommes est en train de s’imposer peu à peu, la juste représentativité des jeunes suivra.
Comment faire ?
Le mode de scrutin, circonscription par circonscription, rendrait peu efficace l’idée d’imposer des critères d’âge dans le choix des candidats présentés aux élections législatives.
C’est pourquoi, avant de compter plus de jeunes députés, il faudrait d’abord prendre en compte le critère d’âge dans le choix des membres exerçant des responsabilités au sein même de l’Assemblée nationale (vice-président de l’Assemblée, président d’une commission, rapporteur d’un projet de loi, etc.). Certaines des lois que nous votons vont avoir un impact sur le siècle prochain. Cela m’inquiète de voir que, pour des lois aussi structurantes que celle sur la filière nucléaire, il n’y ait rien qui garantisse que les jeunes s’en saisissent – à l’intérieur même des institutions.
Est-ce également ce qui vous a poussé à écrire le récit de vos deux premières années à l’Assemblée ?
Les éditions Débats Publics m’ont proposé d’écrire ce livre, qui se pense comme un rapport d’étonnement, après avoir fait le constat que les personnalités politiques écrivent souvent au crépuscule de leur vie politique pour raconter leur œuvre. Nous nous sommes dit qu’il serait intéressant d’en prendre le contrepied et de proposer le témoignage des deux premières années de mon mandat de députée. Voilà comment le livre est né (Devenir députée à 26 ans. Un message d’optimisme et d’espoir sur la démocratie, Débats Publics, 2024).
Puis, à titre personnel, cela me tenait à cœur de porter un message d’optimisme sur la démocratie et de dire aux jeunes : « Vous avez votre place dans les institutions. »
Avez-vous une conviction profondément ancrée en vous que les autres considèrent pourtant comme insensée ?
La vision du déclin qu’on porte sur la jeunesse m’insupporte. Notre jeunesse a beaucoup de talents. Loin de se désintéresser du monde, elle est très alerte sur de nombreux sujets.
Je trouve le mythe d’une belle époque, qui serait aujourd’hui révolue, aussi faux que dangereux. C’est aussi pour cela que je me suis engagée en politique.
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