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« Dans la conquête de l’espace, la France et l’Europe défendent une position utopique »

Entretien avec Christine Lavarde, sénatrice des Hauts-de-Seine (Les Républicains) et vice-présidente de la délégation sénatoriale à la prospective.



Vous êtes co-rapporteure d’un rapport d’information sénatorial consacré à « l’exploitation des ressources spatiales ». Pourquoi ce rapport d’information vous est-il apparu aujourd’hui nécessaire ?


Il y a plus d’un an, avant même le déclenchement de la guerre en Ukraine, la délégation sénatoriale à la prospective choisissait de consacrer une partie de ses travaux à l’exploitation des ressources spatiales. L’espace m’apparaissait déjà, sinon comme le lieu de la Troisième Guerre mondiale, comme un lieu métamorphosant la manière de se faire la guerre. Du reste, le conflit ukrainien en donne une illustration contemporaine puisque l’armée ukrainienne parvient à cibler l’armée russe grâce aux moyens satellitaires des États-Unis. C’est donc la dimension géostratégique de l’exploitation des ressources spatiales qui m’a poussé à suggérer ce sujet comme objet d’étude de la délégation.


J’ai ensuite été rejointe par ma collègue Vanina Paoli-Gagin (LIRT) qui souhaitait étudier l’espace dans sa dimension économique, c’est-à-dire comme source de croissance. Nous nous sommes alors efforcées d’effectuer un véritable travail de prospective car, d’une part, il s’agit d’un sujet d’avenir et, d’autre part, nous ne pouvions empiéter sur le champ de compétences d’une des commissions du Sénat.


L’exploitation des ressources spatiales : quelles ressources ; pour quoi faire ?


Les ressources spatiales sont, tout simplement, toutes les ressources qui se trouvent dans l'espace. Celles-ci comprennent aussi bien les orbites que les ressources minières. Aussi, l’exploitation des ressources minières se fera-t-elle en deux temps. L’objectif de la prochaine expédition est, d’abord, d’atteindre la Lune pour en exploiter les modestes ressources afin, dans un second temps, de rejoindre Mars où les ressources sont bien plus abondantes.


À la lecture du rapport d’information, il semble que la prochaine expédition ne sera ni française ni européenne…


En effet, nous assistons aujourd’hui à une course qui oppose les États-Unis à la Chine. Ces deux puissances mondiales seront sur la Lune, puis sur Mars, avant nous. Cependant, nous disposons d’atouts dans cette nouvelle conquête spatiale grâce à des acteurs familiers de ce secteur (Airbus, Air Liquide, etc.) ou encore à nos compétences de pointe en matière d’observation spatiale.


Surtout, l’affirmation de l’Europe en matière spatiale passera avant tout par une initiative juridique encadrant l’exploitation des ressources. En l’état, le droit international de l’espace traite des astres mais non des ressources de ceux-ci. Dès lors, certains pays ont pris des dispositions en droit interne afin d’autoriser leurs entreprises à exploiter ces ressources. Cela est préoccupant puisque les ressources spatiales sont un bien commun de l’humanité qu’aucun acteur ne saurait s’approprier. C’est pourquoi l’Europe a ici une opportunité de s’affirmer en élaborant un véritable droit international relatif au partage de celles-ci.


Par ailleurs, vous évoquez l’angélisme des positions française et européenne en la matière…


Dans la conquête de l’espace, la France et l’Europe défendent une position utopique qui consiste à concentrer tous leurs efforts dans la détermination d’une solution internationale. Encore une fois, cela se justifie puisque les ressources spatiales sont un bien commun de l’humanité. Toutefois, cela ne peut être qu’utopique puisque une solution internationale nécessite un accord de toutes les parties – dont la Russie.


Cela ne signifie pas que la France et l’Europe doivent renoncer à une solution négociée au niveau multilatéral. D’ailleurs, la France est signataire, avec les États-Unis et vingt-quatre autres pays, des accords Artemis qui autorisent l’exploitation des ressources spatiales à des fins commerciales et leur appropriation militaire à travers la notion de zone de sécurité. Cela signifie uniquement que, concomitamment à leurs efforts diplomatiques, la France et l’Europe doivent se donner les moyens de leurs propres ambitions.


Comment ces nouveaux moyens pourraient-ils se traduire ?


Le nerf de la guerre, en témoignent les politiques des États-Unis et de la Chine en la matière, est le soutien à l’innovation. Cela demande d’approfondir les programmes de subventions ou encore d’accroitre la commande publique à destination des technologies les plus innovantes. Je suis d’autant plus convaincue de la pertinence du soutien public à l’innovation spatiale que, bien souvent, les technologies soutenues le sont en contrepartie de leur destination hybride : elles doivent viser une application dans l’espace et sur Terre. Ce caractère hybride assure aux technologies développées une certaine rentabilité, grâce à leurs utilisations immédiates sur Terre, tout en leur ouvrant une perspective de croissance inédite en cas d’utilisations dans l’espace. Les panneaux solaires à base de régolithe lunaire ou de sable du désert de Maana Electric en offrent une belle illustration.


Je sais combien cela s’apparente, pour d’aucuns, à de la science-fiction mais je suis persuadée que l’innovation pour l’exploitation des ressources spatiales apportera des réponses concrètes à des problèmes identifiés. Seulement, cela nécessite d’élever ce sujet technique au rang de priorité politique.


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