Entretien avec Laurent DUPLOMB, Sénateur de Haute-Loire (Les Républicains), rapporteur du rapport d’information « Compétitivité de la ferme France », fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 28 septembre dernier.
Vous avez co-écrit, avec MM. Pierre LOUALT et Serge MÉRILLOU, le rapport d’information « Compétitivité de la ferme France » déposé le 28 septembre dernier. Pourquoi l’avez-vous jugé nécessaire ?
Ce rapport s’inscrit dans une logique, qui est la mienne depuis mon arrivée au Sénat en 2017, de sensibilisation au déclin de l’agriculture française. Elle s’est exprimée une première fois, en 2019, par l’écriture d’un rapport d’information, à visée descriptive, sur la place de la France dans l’agriculture mondiale. Le constat alarmant dressé, il me semblait nécessaire d’en fournir une explication : c’est le sens de ce rapport d’information.
Quelle est l’explication au déclin de notre agriculture que vous mentionnez ?
La cause la plus fondamentale, reconnue comme telle par la Cour des comptes, du déclin de notre agriculture est sa perte de compétitivité. J’en faisais le constat macroéconomique en 2019 ; nous voulions désormais l’expliquer avec une analyse microéconomique concentrée sur cinq produits emblématiques de la consommation française : la pomme, la tomate, le blé, le lait et le poulet.
Le manque de compétitivité de l’agriculture française nous est apparu comme le fruit de quatre arbres. Le premier est celui d’une augmentation excessive des charges en comparaison avec les pays concurrents en raison d’une sur-transposition des directives européennes et d’un coût de la main d’œuvre très élevé. Le deuxième est celui de la guerre des prix : l’agroalimentaire ne générant plus assez de résultats pour maintenir nos ateliers de production compétitifs. Le troisième est celui d’un manque de protection de la production nationale par l’État qui, en raison de la politique de montée en gamme contraignante imposée aux agriculteurs français, est contraint de signer des accords de libre-échange avec d’autres puissances agricoles qui ne sont pas soumises aux mêmes normes. Le quatrième, enfin, est celui d’un climat politico-médiatique profondément hostile à l’agriculture française - pourtant parmi les plus vertueuses au monde.
La politique de montée en gamme de l’agriculture française est-elle appliquée avec le même degré au sein des cinq filières agricoles susmentionnées ? La critique que vous en faites est-elle également recevable pour chacune de ces filières ?
La politique de montée en gamme n’a pas, ou plutôt pas encore, eu le même effet dans les différentes filières agricoles. Il n’en reste pas moins qu’il ne fait nul doute qu’elle soit néfaste pour chacune d’entre-elles et, si nous nous extrayons momentanément de l’agriculture, menaçante pour chacune de nos filières industrielles - l’exemple de la filière automobile mise en danger par la politique du tout électrique parle, je crois, de lui-même.
Le problème essentiel de la politique de montée en gamme est son hypothèse sous-jacente, à savoir que les Français peuvent se permettre de suivre la montée en gamme des produits agricoles français et, donc, la hausse des prix qu’elle induit. La conjoncture actuelle marquée par l’inflation illustre l’erreur de cette hypothèse. C’est pourquoi une politique unique de montée en gamme n’est souhaitable ni pour les producteurs français ni pour les consommateurs français. Les producteurs, d’une part, fournissent des produits haut de gamme qui ne trouvent pas de débouchées en raison de leurs coûts élevés et, d’autre part, sont soumis à une concurrence déloyale en raison du manque de protection de leurs produits par les pouvoirs publics. Aussi les consommateurs français souhaitent-ils consommer local mais ne le peuvent que de moins en moins, pour les mêmes raisons. C’est ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, qu’on importe désormais 85% des tomates que nous consommons - essentiellement de Chine et du Maroc.
L’Union européenne est-elle un levier ou un frein à la compétitivité de l’agriculture française ?
À mon sens, l’Union européenne n’est ni un levier ni un frein. Il faut uniquement savoir évoluer en son sein et y défendre ses intérêts. Cela implique de véhiculer un message cohérent dans le temps. La problématique de la défense de l’agriculture française au niveau européen est que, à l’exception de Julien Denormandie, les ministres successifs n’ont jamais su quoi défendre auprès de la Commission européenne. Défendre la montée en gamme à l’échelon européen est inaudible et inopérant, nos concurrents européens en ont profité pour promouvoir leurs modèles bien éloignés des préoccupations agro-écologiques qui sont les nôtres. C’est ainsi qu’une pomme coute 0,53€ à produire en Pologne, qui a su porter sa voix à Bruxelles, et 1,18€ en France. Le Gouvernement navigue à vue et l’agriculture française en subit les conséquences. L’exemple de la pomme polonaise est également éloquent en cela que la différence des coûts de production n’est pas uniquement due à l’attribution de fonds européens à la Pologne, elle s’explique aussi par la sur-transposition française des directives européennes, doublée d’un manque de contrôle des produits importés, qui entame la compétitivité de notre agriculture.
Vous soulignez également, dans le rapport d’information, l’enjeu de souveraineté alimentaire que soulève la politique agricole de montée en gamme. Le changement de nom du ministère de l’Agriculture désormais étendu à la Souveraineté alimentaire est-il annonciateur d’un changement de politique agricole ?
Le changement de nom du ministère est, en tout cas, en contradiction avec la politique agricole française de ces trente dernières années dont toutes les erreurs trouvent leur point de convergence - par naïveté sûrement, par arrogance peut-être - dans le dernier quinquennat.
Plus que de changer le nom d’un ministère, c’est de reprendre et d’appliquer les 24 recommandations de notre rapport qui permettrait de retrouver notre souveraineté alimentaire - souveraineté dont la compétitivité est la condition sine qua non.
Est-ce à l’ordre du jour ?
Je l’ignore. Si le ministre Marc Fesneau souligne régulièrement la qualité de notre rapport d’information, ma demande d’entretien - adressée par SMS le 31 mai dernier - est toutefois restée sans réponse de sa part et s’est soldée par un échange avec un membre de son cabinet. Je le regrette, non pas en vertu d’un principe de cogestion pragmatique auquel je n’adhère pas, mais bien plutôt selon une volonté de partager mon expérience en la matière qui, je crois, fut appréciée par l’ancien ministre Julien Denormandie. Du reste, je ne demande pas à être le supplétif du ministre de l’Agriculture.
Plus généralement peut-être, le rapport a secoué le cocotier, reste à voir si les noix de coco tomberont.
Comment comptez-vous, fort de ce rapport, contribuer au changement de politique agricole que vous appelez de vos vœux ?
Deux solutions sont envisageables. La première est celle que nous évoquions précédemment, à savoir un changement de politique émanant de l’exécutif qui s’approprierait les 24 recommandations que nous formulons. C’est une option d’autant plus pertinente que nombre de ces mesures relèvent du domaine du règlement et qu’elles peuvent être mises en place sans délai.
La seconde solution consiste à ce que nous reprenions, au Sénat, certaines des recommandations dans une proposition de loi ou bien que nous amendions des projets de loi du Gouvernement.
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